Le plaidoyer d’un des lecteurs de la revue Pratiques en faveur du CAPI n’a pas laissé indifférents certains de ses confrères, bien entendu d’accord avec la nécessité de revaloriser leur métier de généraliste, mais pas dans n’importe quelles conditions. Patrick Dubreil, président du Syndicat de la médecine générale, (SMG) a bien voulu nous faire part de ses réflexions à cet égard, considérant que le débat était loin d’être clos sur le sujet.
Actuellement, malgré les multiples inconvénients du paiement à l’acte en médecine ambulatoire, les médecins généralistes se décarcassent, de manière individuelle ou en médecine de groupe, pour rendre leurs patients moins souffrants. Souvent même, ils savent détecter les patients les plus en danger de mort prématurée et de maladies graves : les consommateurs excessifs d’alcool et/ou de tabac, les ouvriers, les agriculteurs, les artisans, potentiellement victimes d’accidents de travail ou de maladies professionnelles, les employés, les salariés du tertiaire ou de la grande distribution, toutes les victimes de la violence faite au travail, les pauvres qui n’ont pas de complémentaire ou qui viennent peu au cabinet et sans rendez-vous. Les médecins généralistes vaccinent quand c’est obligatoire ou nécessaire. Ils suivent les malades affectés de maladies chroniques dont l’hypertension, le diabète, le post-infartus cérébral ou cardiaque, les cancers, les patients atteints de troubles mentaux… Et quand la mort endeuille les familles, qui vient-on voir en premier ? Le curé ? Il n’est plus là. La famille ? Bien souvent dispersée ou séparée. Les commerçants du bourg ? Ils sont morts ou ont été éjectés (marché oblige) par les assureurs privés et les agents immobiliers. Le médecin généraliste ? A coup sûr.
Les pratiques de la médecine générale ne sont pas « soigner les bobos » comme certains politiques ont pu le laisser croire dans un passé récent. Elles ne sont pas « rien », non plus, comme le laisserait supposer la réaction d’un lecteur du site de Pratiques. Et elles ne sont en aucun cas comparables aux pratiques qui découlent des contrats d’amélioration des pratiques individuelles ou CAPI. Les pratiques de la médecine générale ne sont tout simplement pas la même médecine que les pratiques des CAPI que Rocky prétend nous imposer.
La médecine sociale tente de mettre en œuvre des pratiques à partir des besoins médico-sociaux de la population. Les CAPI sont des pratiques qui partent des besoins des gestionnaires de l’Assurance maladie, puisque cela fait longtemps que les acteurs sociaux de ce pays ont renié l’exigence démocratique et l’esprit de la Sécurité Sociale, abandonnée au pouvoir des technocrates.
Le Syndicat de la médecine générale rejette les CAPI, pour de nombreuses raisons :
- Contractualisation individuelle court-circuitant le conventionnement collectif et la représentation syndicale.
Critères d’objectifs médico-sociaux non débattus démocratiquement et ne tenant aucun compte des inégalités d’accès aux soins (1) et des inégalités sociales de santé. C’est la porte ouverte à des pratiques de formatage de la médecine et à son appauvrissement. Formatage et appauvrissement par l’application de normes biomédicales et de statistiques de l’Assurance maladie sur nos pratiques. Formatage et appauvrissement aussi par l’application des protocoles de la Haute autorité de santé (HAS) qui sont souvent discutables tant sur le plan scientifique que sur celui de leur l’élaboration (par le haut). La démarche de qualité mise en avant par notre cher lecteur en prenant un sacré coup sur le pif....
- Mode de revenu à type d’intéressement et de performance qui conduit à la perte de la confiance médecin-malade mis en évidence dans le témoignage du Dr Martine Lalande (cf site de Pratiques) et à la course au profit individuel, à des rapports de domination entre professionnels, au détriment de l’intérêt collectif.
Danger ultérieur de contractualisation individuelle médecins-assureurs privés ouvrant une boite de Pandore avec prescription inflationniste sur des critères de rentabilité financière, faisant passer à la trappe les économies initiales escomptées par la prescription en DCI ou en génériques, et ouvrant la voie à la judiciarisation des rapports médecins-assureurs.
Les CAPI arrivent à un moment donné de l’histoire du capitalisme et ce n’est pas un hasard, au moment où les caisses d’Assurance maladie (AM) vont se faire manger toutes crues par les nouvelles Agences Régionales de Santé (ARS), au moment où l’AM elle-même va se faire concurrencer par les assureurs privés. D’autres professions sont soumises au même système de prime à la performance, dans le privé et maintenant dans le secteur public.
- Risques de dérives (comme lors de la réforme du médecin traitant en 2004) à type de contrôle social et de déremboursement des soins si les patients ne marchent pas droit dans les clous et ne répondent pas aux bons critères énoncés par les « experts ». Dérives aussi dans le sens d’une dépendance accrue des décideurs aux firmes pharmaceutiques avec conflits d’intérêts et autres collusions (2).
Aggravation in fine des difficultés d’accès aux soins et validation d’une médecine à plusieurs vitesses.
Les CAPI sélectionnent les malades « faciles » et pénalisent les médecins qui accompagnent les malades cumulant les problèmes médico-psycho-sociaux. Les CAPI, c’est la promotion de la médiocrité,
Si les CAPI ont eu autant de succès (jusqu’à 13 000 signatures) c’est qu’ils sont nés et se propagent sur le terreau désespérant de la non reconnaissance du métier et des fonctions, multiples, complexes, des généralistes. Cette non reconnaissance se matérialise par le blocage de l’évolution des revenus, des modes d’exercice et de l’alignement du tarif de consultation des généralistes sur le CS et par une protection sociale faible dans le système libéral, notamment des femmes.
Le Syndicat de la médecine générale revendique d’autres modes de rémunération qui visent à asseoir une reconnaissance de la profession, des conditions d’exercice décentes ET à réduire les inégalités d’accès aux soins et sociales de santé : forfaitisation, salariat, capitation. En aucun cas, les CAPI ne peuvent répondre aux exigences fondamentales d’une société civilisée, respectueuse de l’égalité entre citoyens. Et nous savons combien l’égalité est mise à mal dans le système économique actuel.
1) Un fond d’œil annuel chez les diabétiques est-il possible, ou acceptable en terme d’obstacle financier aux soins, dans un secteur géographique où il n’y a que des ophtalmologistes en secteur 2 ?
2) Qui décide que tel ou tel médicament est dans ou hors le fameux « répertoire » des médicaments ? Sanofi-Aventis peut écouler son DOLIPRANE situé hors « répertoire », depuis l’application de la mesure imposée « tiers payant contre génériques ».
Patrick Dubreil
Ce texte est paru sur le site de la revue Pratiques ; pour participer au débat, n’hésitez pas à aller sur le site de Pratiques http://www.pratiques.fr/Les-CAPI-arrivent-a-un-moment.html