Pour comprendre les enjeux de la négociation conventionnelle à laquelle seuls sont invités certains syndicats libéraux de médecins (1), l’Assurance maladie et, depuis 2004, les complémentaires santé, il est nécessaire de comprendre les rapports de forces. Après la création de la Sécurité sociale en 1945 par le Conseil national de la Résistance, l’année 1967 marque un premier tournant : le ticket modérateur (part pris en charge par les ménages pouvant être remboursé par les complémentaires) augmente de 30% pour les soins ambulatoires avec pour objectif de « modérer » la consommation médicale et réduire le déficit de la Sécurité sociale, objectif qui ne sera jamais atteint. Celle-ci est étatisée avec l’aide du puissant lobby patronal : le dirigeant du CNPF, ancêtre du MEDEF, affirme déjà qu’elle va altérer la « compétitivité » des entreprises ! En 1980, second tournant, le gouvernement Barre créé le secteur 2 à honoraires « libres » avec dépassements non remboursés par l’Assurance maladie (AM). Parallèlement le secteur 1 est créé qui correspond aux tarifs opposables fixés par la convention médicale et remboursés par l’AM (hors ticket modérateur). En 1981, la gauche socialiste ne revient pas sur cette mesure. La « boite de Pandore » est ouverte. En 2004, la loi Douste-Blazy rend possible, pour tous les spécialistes, les dépassements (en plus de la taxe de 1 euro par acte). Ceux-ci explosent, représentant 2 à 3 milliards d’euros chaque année et plus de 10% par an de l’ensemble des honoraires des spécialistes. Certaines spécialités ne sont plus accessibles en secteur 1 (urologie, ophtalmologie). Les négociations s’engagent alors pour la création d’un « secteur optionnel » supposé « encadrer et plafonner » les dépassements, mais ce dispositif prévoit leur généralisation à tous les médecins de secteur 1 : ce serait la fin du tarif opposable et de l’accès aux soins pour tous. En 2008, Sarkosy enfonce le clou en créant les franchises « médicales » non remboursées sur les actes, les médicaments et les transports sanitaires.
Depuis plus de trente ans, les syndicats libéraux de médecins s’arc-boutent au paiement à l’acte et fixent ainsi le niveau de remboursement des soins de l’ensemble de la population. Cette situation injuste doit cesser. Le débat sur les revenus des professionnels de santé peut être de la compétence de la convention médicale à la seule condition que l’AM revienne au pouvoir « des intéressés eux-mêmes », comme le disait De Gaulle, ce qui n’est plus le cas, puisque, progressivement, celle-ci est devenue une entreprise commerciale et entrepreneuriale à la botte de l’Etat, du patronat et des syndicats de médecins. L’AM n’est plus aux mains des syndicats de tous les travailleurs. La réglementation floue du « tact et mesure » contenue dans le Code de Déontologie n’impose rien aux médecins dans les faits. Jusqu’à présent, l’Ordre des Médecins reste inopérant. Et pour cause, on ne peut être juge et partie.
Les dépassements d’honoraires des médecins rend encore plus difficile l’accès aux soins en contradiction avec la mission de service public qui leur incombe. Un tel dérapage tarifaire va dans le sens des tenants du capitalisme qui œuvrent au désengagement de la Sécurité sociale au profit du marché de l’assurance santé complémentaire, conduisant à l’augmentation intolérable du « reste à charge » des ménages, pour ceux qui ne peuvent y recourir. Finalement les syndicats libéraux de médecins « roulent » pour les complémentaires santé. La surenchère tarifaire à l’acte, prônée par la CSMF (2) dans son « pacte libéral et social pour l’accès aux soins », est inflationniste et incapable de régler les inégalités d’accès aux soins et sociales de santé. Cette fuite en avant signe l’échec du système. Ce « pacte » ne serait qu’un nouveau coup de force des syndicats libéraux de médecins sur la population.
Le SMG revendique pour les professionnels de santé, une diversification des revenus, la sortie du paiement exclusif à l’acte, son opposition aux dépassements des tarifs opposables, qu’il s’agisse de dérapages tarifaires, du secteur 2 ou d’un secteur optionnel en gestation, et la suppression de la prime à la performance (3,9 % de l’ensemble des revenus des médecins traitants en 2013), inopérante pour améliorer la santé publique, les exemples à l’étranger le prouvent comme en Grande Bretagne.
Le pays ne pourrait se satisfaire d’un maintien, même encadré ou plafonné, des dépassements d’honoraires, comme cela semble se dessiner. Un pseudo-contrôle par des commissions départementales de surveillance des « abus » dirigées par la profession (syndicats ou Ordre des médecins) ou l’Assurance maladie (aux mains des néolibéraux), serait inopérant pour sanctionner ces « abus » ou rendre les soins accessibles à tous. Aujourd’hui, afin d’imposer un rapport de force en faveur de l’intérêt général, un large débat démocratique sur la question des revenus des professionnels doit être mené et sanctionné par une loi.
La crise financière actuelle incitera-t-elle le gouvernement à opter pour la suppression des dépassements d’honoraires ? On peut en douter. Pourtant, les médecins ne sont pas les seuls concernés par l’organisation de la médecine. Tous les citoyens et les associations de patients doivent intervenir dans ce débat. Comme il existe un service public de l’éducation nationale, le système de soin doit évoluer vers un service public de médecine ou de santé nationale. Il doit garantir à la fois l’accès aux soins pour tous, la juste rémunération des professionnels et la mise en place d’un système de soins adapté aux besoins de santé de la population. Le Front de gauche doit débattre de ces propositions dans son programme « L’Humain d’abord » et son projet de société.
(1) Le Syndicat de la médecine générale (SMG), non reconnu représentatif en 1983, ne peut participer à la négociation conventionnelle
(2) Confédération syndicale des médecins français
Patrick Dubreil, secrétaire du SMG, membre de la Gauche Unitaire-Front de gauche.
http://www.humanite.fr/le-tiers-payant-est-un-outil-fondamental-de-justice-sociale-561219