Introduction du président :
- Nous avons, au sein du SMG, parlé du projet de l’Assurance maladie de proposer aux médecins un changement de rémunération qui associerait au paiement à l’acte des forfaits dans le cadre de contrat de santé publique. En échange de la particpation d’un médecin à une action de santé publique, celui-ci recevrait une somme forfaitaire. Exemple : si le taux de dépistage du cancer du sein dépasse X % de sa clientèle, le médecin reçoit un forfait. Nous pensons que cela est totalement réducteur et que, surtout, cela galvaude la sortie du paiement à l’acte pour laquelle nous nous battons depuis trente ans. Ce texte vise à partciper au débat, même si une fois encore nous sommes précurseurs dans ce débat.
Il est toujours surprenant de constater qu’une transformation positive d’une pratique professionnelle peut devenir, quand l’institution se l’approprie, une régression. C’est le risque majeur du devenir des contrats individuels.
Nous ne prétendons pas détenir la vérité sous prétexte que nous sommes des acteurs de terrain. Loin s’en faut, mais le point de vue de l’acteur de terrain se construit sur la base d’une expérience professionnelle, qui elle-même se forge sur la confrontation à la complexité qui fait l’ordinaire du métier de soignant. Ce point de vue tire sa pertinence de la capacité que peut avoir le professionnel à conceptualiser sa pratique pour faire valoir l’importance de tel ou tel aspect de son action. La difficulté réside dans la diversité des situations auxquelles nous sommes confrontées, et donc forcément de la plasticité de la réponse à apporter. Toute tentative de normalisation de l’action de soigner stérilise le soin. Ce qui ne veut pas dire que nous n’avons pas besoin de point de repères commun pour guider nos diagnostics, pour choisir nos thérapeutiques. Ces points de repères sont les recommandations, les référentiels à partir desquels nous construisons pour chaque personne une réponse adaptée qui tient compte de la nature du problème de santé ou du problème médical et de la spécificité de la personne. Cette spécificité est la résultante d’une histoire personnelle, d’une situation sociale, d’une origine culturelle, d’une réalité psychologique. Tout l’art de soigner réside dans cette capacité de trouver à partir de la connaissance qui fait référence (d’ou nécessité de la connaître) le projet thérapeutique le plus adapté à la personne, c’est-à-dire in fine celui qui sera réellement suivi par le malade. Ceci est vrai pour le soin, comme pour l’éducation thérapeutique, et pour la prévention individuelle.
Depuis toujours, le Syndicat de la Médecine Générale milite pour transformer le système de l’offre de soins en un système de santé. C’est-à-dire dans une approche médico-psycho-sociale de la maladie où la prévention, l’éducation, sont indissociables de l’acte de soin. Cela signifie de lutter contre tous les facteurs pathogènes auxquels sont confrontées les personnes, par leur environnement, par leurs conditions de travail, par leurs comportements individuels façonnés par la société dans laquelle nous vivons : il n’y a pas de lutte contre le diabète sans lutte contre la « mal bouffe ».
Nous considérons que pour le métier de soignant en médecine générale, mais aussi pour les métiers du soin paramédicaux, c’est justement le développement d’une pratique professionnelle qui associe ce triptyque : soin, éducation, prévention. Il devient dès lors évident que notre volonté de modifier le mode de rémunération est la conséquence de cette définition du métier de soignant. Le paiement à l’acte n’est pas adapté à cette manière de concevoir la médecine, et il est donc légitime de rechercher un mode de rémunération qui satisfasse la mise en œuvre de ces trois piliers du soin. Il existe plusieurs modalités qui peuvent répondre à cette transformation du mode de rémunération. La capitation, le forfait, le salariat, sont des réponses possibles. Chacune a ses avantages et ses inconvénients. Mais tous ont en commun pour exister de respecter cette capacité d’adapter la pratique médicale à la réalité de la personne. Il ne peut être concevable sous prétexte d’offrir un mode de rémunération qui permet le soin, l’éducation, la prévention, de figer l’acte de soin dans une procédure standardisée.
On comprend cependant l’intérêt de cette homogénéisation de la pratique médicale. Cela la rend plus facilement évaluable, mesurable, ce qui peut rassurer l’organisme payeur. Il n’est pas non plus de l’intérêt du professionnel de faire n’importe quoi, chacune de ces actions dans le champs du soin, de la prévention, de l’éducation doit obéir à un cahier des charges, à des objectifs, à la définition des modalités d’actions, à un respect d’une éthique. Mais tout cela doit se négocier, doit se débattre en amont de l’action. Si les modalités sont imposées, si l’objectif est défini en fonction des intérêts de l’organisme payeur, il y a toutes les chances que cela se traduisent par un échec.
C’est le risque majeur encouru par la mise en place des contrats individuels que propose l’Assurance maladie.
Mettre en œuvre des contrats individuels de santé publique avec comme contenu de la prévention ou de l’éducation thérapeutique nécessite une analyse précise des besoins de santé repérés au sein d’un bassin de population. Cette analyse doit se faire dans une démarche collective, au terme de laquelle seront définis le contenu des actions de santé publique. Ensuite, leur développement se fera dans le cadre d’une approche de proximité au niveau d’une ville, d’un quartier en partenariat avec les exécutants que sont les acteurs de santé. Il est évident que là où existent des réseaux de santé, des ateliers santé ville, et des maisons de santé de proximité, ce sont ces structures qui seront les espaces de concertation avec les institutions qui portent cette mission, peut-être les ARS si elles voient le jour.
L’action de santé publique devra se décliner en tenant compte d’une part des caractéristiques sociales culturelles de la population et, d’autre part, des modalités d’exercice des professionnels. Cela veut dire qu’il conviendra de définir un cahier des charges précis, mais adapté qui tiendra compte des aspects quantitatifs, mais aussi qualitatifs. Il n’est pas envisageable que le seul critère quantitatif soit retenu pour valider le contrat individuel.
Il faut mesurer à quel point agir ainsi est un changement de culture. Jusqu’à maintenant, l’action de santé publique est le plus souvent conçue au niveau des instances nationales, puis ensuite déclinée au niveau local dans un cadre strict, mesurable, re-productible et piloté par les services déconcentrés de l’état dans un processus de contrôle standardisé.
De même, la culture de gestion du risque maladie de l’Assurance maladie ne la prépare pas beaucoup à cette gestion délocalisée des actions de santé publique. Son mode de relation avec les soignants passe pour l’essentiel par les instances conventionnelles, elles mêmes soumises à la représentation syndicale des professionnels. Il ne faut pas que les contrats individuels deviennent des moyens pour l’Assurance maladie de résoudre ses problèmes de maîtrise des dépenses de santé, il ne faut pas que ces contrats individuels deviennent des outils de la lutte syndicale.
Si l’on veut que les acteurs du soin s’investissent dans cette autre exercice de la santé, qui vient compléter le soin, il faut que les soignants puissent faire valoir leurs compétences, le mode relationnel qu’ils ont avec la population, il faut tenir compte du savoir-faire et du savoir-être acquis au fil du temps dans l’exercice de leur métier. Il faut construire une réelle coordination des actions de santé. Et il faut surtout inventer dans la proximité du lieu d’exercice, un espace de négociation égalitaire entre tous les partenaires. Ignorer ces aspects de la réalité, c’est s’engager dans une voie sans issue.
Didier Ménard