Communiqué de presse conjoint du Collectif Europe et Médicament, de la FNATH (l’association des accidentés de la vie), du CLAIM, du Réseau DES France et de l’association Les filles DES, co-signé aussi par Irène Frachon : « Loi de santé publique française - Actions de groupe : nécessaires, mais pas suffisantes »

Publié le lundi 23 juin 2014, par Collectif de Lutte contre les Affections Iatrogènes Médicamenteuses, CLAIM, Réseau D.E.S. France, L’association Les Filles DES , Collectif Europe et médicament, FNATH, Irène Frachon

Loi de santé publique française - Actions de groupe : nécessaires, mais pas suffisantes

Il y a un an, au moment des discussions autour du projet de loi sur la consommation en France, nous appelions à « élargir et adapter la procédure d’action de groupe au secteur de la santé » (1).
Nous demandions aussi, dans le cadre de la loi de santé publique alors annoncée pour 2014, des mesures devant enfin permettre une réparation équitable des dommages liés aux produits de santé (a) (1).

ACTIONS DE GROUPE : EFFICACES A CONDITION DE S’EN DONNER LES MOYENS. Le 19 juin 2014, lors de sa présentation des orientations du projet de loi santé, Madame Touraine, Ministre des affaires sociales et de la santé, a annoncé que « face aux dommages sériels en santé, un droit nouveau pourrait être envisagé : l’instauration d’une action de groupe » (2). Nous encourageons la Ministre à faire de cette proposition au conditionnel une réalité en France. De nombreux autres pays ont déjà franchi le pas (b).
Les actions de groupe permettent à des victimes caractérisées par une grande similarité des situations de se regrouper (3). Ce regroupement favorise la constitution de dossiers bien documentés (partage des éléments de preuve rassemblés), donc la procédure judiciaire (c).
L’expérience des autres pays montre cependant que certaines conditions sont nécessaires pour garantir l’efficacité des actions de groupe, par exemple : l’accès aux actions de groupe doit être le plus large possible ; dans certains cas, les dommages et intérêts doivent pouvoir être punitifs afin de remplir une fonction dissuasive (4,5).

POUR UNE REPARATION EQUITABLE DES DOMMAGES LIES AUX PRODUITS DE SANTE. Se limiter aux actions de groupe ne suffira pas réellement à améliorer la situation des victimes d’effets indésirables médicamenteux. Une évolution du droit européen et du droit français est nécessaire pour rétablir des régimes de responsabilité plus pertinents (6). En effet, depuis l’application d’une directive européenne de 1985 relative aux produits défectueux (transposée en France en 1998), les firmes pharmaceutiques n’ont plus d’obligation de sécurité de résultat vis-à-vis des patients, disposant dès lors d’une quasi-immunité (d,e).
En France, la loi relative aux droits de malades de 2002 (loi Kouchner) prévoyait que, dans certains cas, la solidarité nationale puisse indemniser les victimes d’effets indésirables quand les fabricants ne pouvaient pas voir leur responsabilité engagée. Cependant, en pratique, une minorité de victimes sont indemnisées par la solidarité nationale (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, ONIAM) (6). C’est en effet sur les victimes que repose la charge de la preuve, et elles ont des difficultés majeures à faire reconnaître l’imputabilité du médicament dans la survenue du dommage face aux experts (f). De plus, leurs séquelles sont souvent sous-estimées, ne leur permettant pas d’atteindre le seuil de gravité très élevé requis pour être indemnisées (6).

ÉCOUTER LES VICTIMES. Conjointement avec d’autres organisations et des associations de victimes, le Collectif Europe et Médicament publiera prochainement un état des lieux détaillé de la situation, permettant de prendre la mesure des difficultés des victimes.
Nous présenterons aussi nos recommandations concrètes d’amélioration, notamment :
-  rétablir, au niveau européen, le régime de la responsabilité des firmes avec obligation de sécurité de résultat vis-à-vis des patients. La France peut être l’État membre moteur de cette évolution qui bénéficiera aux patients de l’ensemble de l’Union européenne ;
-  rendre publiquement accessibles l’ensemble des éléments permettant à la victime d’étayer l’imputabilité médicamenteuse. Au-delà des données administratives de l’assurance maladie (open data), il s’agit aussi et surtout de permettre l’accès public : aux résultats détaillés des essais cliniques, comme le prévoyait l’Agence européenne du médicament (EMA) avant de faire marche arrière sous la pression de la Commission européenne et des accords commerciaux de libre échange transatlantiques (7) ; et à la base française de pharmacovigilance (observations détaillées mais sous forme anonymisée) ;
-  améliorer le fonctionnement de l’ONIAM, le mécanisme français d’indemnisation en cas d’aléas thérapeutiques ou de procédure par la voie amiable : réduction du seuil de gravité afin d’exclure moins de victimes aux séquelles graves mais sous-estimées ; création d’un régime spécial de responsabilité pour les médicaments figurant sur la liste des médicaments sous surveillance supplémentaire ; etc.

Le Collectif Europe et Médicament
La FNATH, association des accidentés de la vie
Le CLAIM (Collectif de Lutte contre les Affections Iatrogènes Médicamenteuses)
Le Réseau D.E.S. France L’association Les Filles DES
Irène Frachon, pneumologue ayant alerté sur les effets indésirables du benfluorex (Mediator®)

***
Notes :
a- Les effets indésirables des médicaments représentent un véritable problème de santé publique. En France, le nombre de morts causées par les médicaments peut être estimé de l’ordre de 20 000 par an (réf. 8). C’est environ 6 fois plus que la mortalité routière.

b- États-Unis, Canada (notamment Québec), Australie, Brésil, Israël, et États membres de l’Union européenne, notamment Pays-Bas, Portugal et Belgique (réf. 4).

c- En général, le tribunal statue sur le principe de la responsabilité, permettant aux victimes de disposer alors d’un recours individuel pour faire fixer le montant de la réparation de leurs préjudices individuels (réf. 5). Dans les pays où les actions de groupe sont possibles, la firme commercialisant le rofécoxib (Vioxx®, un anti-inflammatoire à l’origine d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires cérébraux qui ont été dissimulés pendant plusieurs années) a ainsi été amenée à indemniser de nombreuses victimes (5 milliards de dollars ont par exemple été provisionnés pour les victimes étatsuniennes) (réf. 9). En France, où les actions de groupe n’existent pas, les victimes du Mediator® ont quant à elles de grandes difficultés à être indemnisées (réf 10).

d- Les victimes d’un effet indésirable grave d’un médicament ne peuvent désormais engager la responsabilité du fabricant que si elles prouvent la défectuosité du médicament, c’est-à-dire « lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu (…) notamment de la présentation du produit » (réf. 6,11). En pratique, si l’effet indésirable grave dont elles ont souffert était mentionné dans la notice, le médicament n’est pas considéré comme défectueux et la firme ne devra pas indemniser la victime (réf. 6).

e- De plus, même si les victimes parviennent à démontrer à la fois l’imputabilité (lien de cause à effet entre la prise d’un médicament et la survenue d’un dommage) et la défectuosité d’un médicament, elles peuvent encore se voir opposer l’exonération de responsabilité des firmes par le “risque de développement ?? . Il suffit aux fabricants de faire valoir que « l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit (...) ne permettait pas de déceler l’existence du défaut » (réf. 11,6).

f- Démontrer l’imputabilité d’un médicament dans la survenue d’un dommage est particulièrement difficile quand il s’agit d’effets indésirables rares (par exemple, une étude a montré que seulement 2,5 % des victimes de syndromes de Lyell ont été indemnisées par l’ONIAM) (réf. 12). Et même en cas d’effet indésirable fréquent et connu, les experts ne tiennent pas toujours compte des données épidémiologiques les plus récentes, faisant bénéficier le doute au fabricant plutôt qu’à la victime (réf. 10).


Références :
1- Collectif Europe et Médicament, FNATH, Sécurité sanitaire ("Groupe des 9") "Actions de groupe "à la française" : ne pas oublier la réparation des dommages liés aux produits de santé !" communiqué de presse conjoint ; 19 juin 2013 : 2 pages.
2- "Présentation des orientations du projet de loi santé" Intervention de Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la santé ; jeudi 19 juin 2014 : 10 pages.
3- Bourdillon F, Dubois G, Frachon I, Grémy F, Got C, Hill C, Hirsch A, Perrichon C, Tubiana M "« L’Union fait la force » ou faut-il rendre possibles les actions judiciaires collectives dans le domaine de la santé" 2012. www.securite-sanitaire.org : 1 page.
4- Centre européen de la consommation "L’action de groupe en France : une volonté européenne" 19 décembre 2013 : 22 pages.
5- Bouvignies A "Les class actions – Études de droit comparé entre les droits français et américain" Master de Droit européen comparé dirigé par Louis Vogel 2011 : 72 pages.
6- Le Pallec S "“Gueules cassées du médicament ?? : d’épreuves en épreuves" Intervention lors de la Pilule d’Or Prescrire ; 29 janvier 2014 : 4 pages + vidéo (14 minutes).
7- AIM, HAI Europe, ISDB, MiEF, Nordic Cochrane Centre “Backpedalling on EMA’s "proactive publication of clinical-data" draft policy : Was it all just a window-dressing exercise ? Who or what is the EMA afraid of ?" Joint press release ; 20 May 2014 : 4 pages.
8- Prescrire Rédaction “Effets indésirables mortels des soins hospitaliers ?? Rev Prescrire 2011 ; 31 (330) : 269.
9- Slater D "$4.85 Billion Vioxx Settlement Moving Forward" 2008. http://blogs.wsj.com/law : 1 page.
10-"Mediator : valves-hésitations autour du collège d’experts" Libération ; 5 février 2013.
11- "Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux" version consolidée (intégration des modifications (Directive 1999/34/CE) au texte de base). Site eur-lex.europa.eu consulté le 4 avril 2014 : 8 pages.
12- Isvy A, Le Pallec S, Vincent R et Haddad C “Toxidermies sévères : patients ou victimes ? De l’enquête aux données de l’office d’indemnisation (ONIAM) ?? Annales de Dermatologie et de Vénéréologie 2013 ; 140 (12S1) Doi :10.1016/j.annder.2013.09.127.

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