Inégalités territoriales d’accès aux soins, que faire ?

Synthèse du 10 février 2024

Publié le jeudi 15 février 2024, par SMG

Ce texte s’appuie sur le dossier du SMG : Inégalités territoriales d’accès aux soins : Analyses et propositions du SMG

I Le constat
Tout le monde fait le constat d’une dégradation de l’accès aux soins, en particulier aux soins médicaux.
Une des difficultés d’accès aux soins est liée au nombre de médecins et à leur répartition.
Les chiffres sont abondants mais citons la DREES 2021 [1] : à comportements et législation constants, la densité médicale standardisée (donnée qui tient compte du type de population) va baisser jusqu’à la fin des années 2020 pour ne retrouver son niveau actuel qu’au milieu des années 2030. Elle augmentera ensuite de 25 % dans les années 2050.

On se retrouve dans une situation où :
-  des habitantes sont en difficulté pour accéder aux soins médicaux, y compris de premier recours. Ces difficultés existent partout sur le territoire, mais les inégalités entre territoires sont très importantes. La faible densité médicale qui frappe particulièrement les zones rurales et les zones périurbaines est un facteur qui augmente les difficultés d’accès aux soins particulièrement pour les personnes pauvres et entraîne des renoncements aux soins. Ces difficultés d’accès aux soins se cumulent souvent avec des difficultés d’accès à d’autres services publics.
-  des professionnelles ne savent plus répondre à la demande de soin. Des professionnelles surtout libérauxales, le système libéral montrant ici ses limites. Ils et elles sont souvent débordées, n’arrivent plus à rendre le service pour lequel ils et elles se sont engagées, ce qui crée un fort sentiment de frustration et un certain nombre de situations de surmenage professionnel/burn out.

II Quelles solutions proposer ?

1) Concernant la liberté d’installation
La première réponse à court terme qui vient à l’esprit quand on pose cette question est de limiter la liberté d’installation, pour que plus de médecins s’installent dans les zones sous-dotées.
C’est d’ailleurs une approche qui est régulièrement proposée au niveau du parlement sans jamais avoir été adoptée jusqu’ici. La loi Valletoux « Améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels », adoptée en juin 2023, contenait initialement une régulation de l’installation qui a finalement été abandonnée.
À noter aussi, que d’autres professions ont une régulation portant sur leur installation (pharmaciennes, infirmierères, kinésithérapeutes et tout récemment chirurgiennes-dentistes).

Pour réfléchir à cette question, nous avons lu les travaux qui s’intéressent à de telles mesures :
En France, le « zonage infirmier », limitation à l’installation dans les zones considérées comme sur-dotées, a été introduit en 2012. Une étude de l’IRDES de 2022 [2] montre que l’écart entre les moyennes des territoires très sous-dotés et sur-dotés s’est réduit de moitié entre 2006 et 2016. Il persiste cependant d’importantes disparités de densités territoriales. Les restrictions d’installation ont fait l’objet de contournement avec l’utilisation du remplacement ou d’installations aux marges des zones sous-dotées, profitant alors plutôt aux zones intermédiaires
Une étude de la DREES de 2021 [3] conclut que les exemples internationaux vont plutôt dans le sens d’un impact positif d’une politique de régulation des installations sur l’équité de la distribution géographique, si on s’intéresse à l’échelon régional. En ce qui concerne un échelon plus local, la réponse est moins affirmative.
Par ailleurs cette étude souligne que ces restrictions n’ont pas d’efficacité si les effectifs de la profession sont déficitaires, ce qui est le cas pour les médecins en France actuellement.

-  > Nous ne nous inscrivons pas dans la logique libérale et nous ne sommes pas contre le principe des limitations à l’installation : l’accès aux services de santé est un besoin de première nécessité et l’accès doit être égalitaire sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, les médecins sont de fait payées par l’Assurance maladie puisque c’est elle qui solvabilise les patientes en remboursant les actes.
Mais le contexte de déficit d’effectifs de la profession, de surcharge de travail nous amène à nous interroger sur l’efficacité qu’aurait cette limitation dans les zones reconnues déficitaires et les répercussions qu’elle aurait dans l’ensemble des territoires.
-  > La réponse à apporter au problème des inégalités territoriales d’accès aux soins doit être une réponse systémique, plurifactorielle et il ne faut pas s’arc-bouter sur la seule restriction d’installation.

2) Concernant le nombre de médecins
La deuxième solution qui vient à l’esprit est d’augmenter le nombre de médecins formées.
Le fameux numerus clausus a été utilisé depuis les années soixante-dix par l’État, (avec le concours des syndicats de médecins et l’appui de l’Ordre des médecins) pour « rationaliser » et donc réduire les dépenses de santé. Le nombre d’étudiantes formées est reparti à la hausse au début des années 2000. Le numerus clausus a été officiellement supprimé à la rentrée 2020, mais la sélection perdure et le nombre de médecins formés est encore insuffisant.

-  > Ces mesures vont dans le bon sens pour le SMG mais leur efficacité est à moyen terme.
-  > Elles ne permettent pas de réorganiser la répartition des soignants.

3) Concernant la formation et la sélection des professionnelles de santé, notamment des médecins
Au-delà du nombre d’étudiantes formées, le SMG insiste sur la nécessité de réfléchir au contenu et aux modalités de la formation et de la sélection, en particulier :
• Former à l’exercice pluriprofessionnel : pour des soins de qualité, la prise en charge pluriprofessionnelle est indispensable, alors qu’elle n’est quasiment pas abordée pendant les études.
• Former à la pratique dans différents territoires et contextes socio-économiques, valoriser ces pratiques et préparer les professionnelles à exercer dans certains contextes (montagne/îles/campagne mais aussi spécificités sociales : travail auprès de personnes étrangères, grande vulnérabilité, isolement).
• Diversifier l’origine sociale des étudiantes : d’après des études internationales [4], c’est une des mesures les plus importantes pour améliorer la répartition des soignantes. Intégrer des étudiantes originaires de zones sous dotées et donc souvent moins favorisées est efficace pour augmenter le nombre de professionnelles dans ces zones. Le processus de sélection et la centralisation des lieux de formations sont actuellement trop discriminants pour les jeunes issues de ces milieux.

-  > En résumé : former plus, mais aussi former mieux, et ne pas former toujours les mêmes.

4) Au-delà de la formation : réorganiser le système de soins ambulatoire
Ces propositions ne peuvent pas à elles seules résoudre les difficultés actuelles. Le SMG milite pour une refondation de l’organisation du système de santé ambulatoire et des soins primaires.
En effet, celui-ci présente plusieurs problèmes qui nuisent à son efficacité et à la justice sociale :
• Les professionnelles sont essentiellement des libérauxales, payées pour une part très importante à l’acte.
Ce mode de rémunération n’est pas efficace pour valoriser les prises en charges complexes, la coordination des soins et les efforts de formation. Il permet en plus l’existence du secteur II et ses dépassements d’honoraires. Il existe d’autres formes de rémunérations, mais beaucoup moins développées (capitation, forfait, salariat).
• De ce fait, mais pas uniquement, les pratiques sont trop isolées et l’exercice pluriprofessionnel doit être développé. Les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) sont une avancée dans ce sens, mais ne remettent pas en question le mode libéral de l’exercice. Les centres de santé vont plus loin en salariant les professionnelles et en mettant comme prérequis une vision globale de la personne et l’importance de l’accueil. L’approche en santé communautaire est encore plus efficace : elle permet aux habitantes d’intervenir collectivement sur les problématiques de soins de leur territoire et de décloisonner le monde des professionnelles et des habitantes.
• Les pratiques de coopération professionnelle (Infirmieres de pratique avancée IPA/Infirmières salariées de l’association ASALEE) sont une réponse possible au problème, sous réserve de mettre en place les conditions en terme de formation, d’organisation du travail, de modalités de rémunération pour que ces pratiques soient réellement au service des patientes et non pas une condition du soin dégradée dans une situation de pénurie.
• Le système de santé n’est pas démocratique : les habitantes n’ont quasiment aucune prise sur la définition des besoins de santé, sur l’organisation et la gestion du système de soins, qui est géré de façon verticale. Ce système est géré au niveau de l’état selon une logique néolibérale via les Agences régionales de santé (ARS) à rebours du projet initial de la Sécurité sociale qui prévoyait au contraire une gestion indépendante de l’État, par les cotisantes.

III le Service Public Territorial de Santé

La proposition du SMG : le développement d’un service publique territorial de santé (SPTS).
Le SPTS se définira comme un service de santé de premier recours public, accessible à toutes et tous sur l’ensemble du territoire. Pour le SMG, il doit s’agir d’un système au financement socialisé, géré au maximum par les assurées sociauxales et leurs représentantes, tant au niveau local que national.

1) Le salariat plutôt que le paiement à l’activité
Le financement des structures de soins indexé sur l’activité n’est pas garant d’un service de santé efficace, comme l’a montré l’exemple de la tarification à l’acte, modèle qui a pesé lourdement sur le financement et l’organisation de l’hôpital public. Les modes de financement du SPTS devront être diversifiés, avec une part importante de financement au forfait et à la capitation. Par ailleurs, les travailleureuses du SPTS seront, au contraire, des salariées : ce statut est plus protecteur des travailleureuses et il permet de valoriser des activités complexes dans leur globalité.

-  > Le salariat ne prend tout son sens que dans un service de soins public géré démocratiquement. Le SMG est opposé à toute prise de profit financier sur les activités de soin. Contrairement aux centres de santé privés qui se développent actuellement.

2) Un système de santé permettant des coopérations interprofessionnelles
• Le SPTS intégrera bien sûr des professions médicales (médecins de premier et second recours, dentistes, pharmaciennes…) et paramédicales (infirmieres, kinésithérapeutes, orthophonistes…)
• Il intègrera aussi des professions dont le rôle est moins souvent mis en avant dans l’entretien de la santé, et qui est pourtant fondamental : aide-soignantes, travailleureuses sociauxales, psychologues, médiateurices en santé...
• La coopération avec les soins de second recours et en particulier l’hôpital sera facilitée par le caractère public du SPTS, qui pourra partager certains moyens avec celui-ci.

3) Un système de santé planifié, intégré aux autres services publics
• Le SPTS permettra l’organisation des soins de premier recours au niveau territorial puisque sa gouvernance sera enfin démocratique et non plus livrée à des professions libérales dont l’installation et les pratiques sont peu ou pas régulées.
• Il devra être intégré aux services publics en particulier de l’éducation, des transports et entretenir des coopérations avec eux (éducation à la santé, réflexion sur l’accès aux soins en terme de transports, accompagnement social des personnes…)

4) Un système de santé démocratique et juste
• Le SPTS sera un service public, accessible à tous sans dépassement d’honoraires. Il sera l’occasion de questionner le juste financement du système de soins et de supprimer le secteur II et les dépassements d’honoraires.
• Son financement devra être socialisé. Cela permet de questionner le financement de l’Assurance maladie. Le SMG milite pour une Assurance maladie remboursant tous les soins à 100 %, universelle et pour la disparition des assurances complémentaires [5].
• Il devra être géré démocratiquement, en incluant au maximum les habitantes/assurées/usageres [6].
• Sa gestion devra être dissociée de l’État en restant aux mains des principauxales intéressées tant dans le financement que dans son utilisation.

-  > La mise en place du SPTS peut se faire en parallèle du système de soins de premier recours libéral existant actuellement. Mais le risque serait alors de reproduire la répartition inéquitable des tâches médicales entre un secteur privé qui s’occuperait des actes « lucratifs », tandis que le secteur public s’occuperait de la complexité, des populations défavorisées et des actes les moins valorisés financièrement. C’est ce qu’on observe dans la dichotomie hôpital public/cliniques privées et dans l’organisation des soins qui incombent à chacune de ces structures. La mise en place du SPTS implique à terme la socialisation complète du système de soins de premier recours, pour éviter cet écueil.

Conclusion
Bien que ce texte puisse paraître centré sur des enjeux médicaux, nous tenons à rappeler qu’il ne pourra y avoir de réponse unique à des problématiques aussi complexes, croisant différents niveaux d’interventions et d’enjeux. Une analyse réduite à la seule question de la démographie médicale serait insuffisante. Un panachage des solutions et des positionnements, tant d’un point de vue temporel que géographique, tant d’un point de vue politique que d’exercice professionnel (et en particulier pluriprofessionnel), nous parait fondamental.
Si la solution est complexe, elle doit être radicale au sens où une remise en question du système de soins primaires dans sa globalité est désormais inévitable et nécessaire. Agissons pour que cette refonte se fasse dans le sens de sa socialisation, de la solidarité, de l’amélioration des conditions de travail des professionnelles et surtout de la santé des habitantes.

DREES : Direction de la Recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques
IRDES : institut de recherche et de documentation en économie de la santé

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