Analyse du SMG sur les CPTS, septembre 2019

Publié le mardi 12 novembre 2019, par SMG

Le maillage de l’ensemble du territoire français par des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est prévu à l’horizon 2022. Au sein du SMG, nous avons amorcé une réflexion sur cette nouvelle organisation du système de soins et nous espérons la poursuivre en fonction des évolutions réglementaires, pratiques et aussi de tous les apports venus (et bienvenus) de vous qui nous lisez.

Instaurées par les lois de « modernisation de notre système de santé » (2016) puis de « transformation de notre système de santé » (2019), les CPTS sont le fruit d’un compromis : censées être à l’initiative des professionnelles de santé, elles sont cependant encadrées et contrôlées par l’État, via les Agences régionales de santé (ARS). L’Accord conventionnel interprofessionnel (ACI) permettant leur mise en œuvre a été signé en juin 2019 entre l’Assurance maladie (AM) et les syndicats représentatifs des professionnelles de santé.
L’institution des CPTS nous interroge au niveau syndical : peuvent-elles permettre une avancée vers le système de santé solidaire que nous avons toujours défendu au SMG ?

Pour analyser les CPTS, il faut les replacer dans les changements, en cours et programmés de notre système de soin.
Le développement des CPTS est une des mesures phares du plan « Ma santé 2022 » [1] dont une grande partie a été inscrite dans la loi de transformation du système de santé de 2019 : réforme des études en santé, « développement de l’ambition numérique en santé »… Mais la mise en œuvre de l’ensemble du plan doit s’échelonner sur le quinquennat, la loi de 2019 prévoyant un recours aux ordonnances.
Les CPTS regroupent des équipes de soins primaires, des acteurs de soins du second recours, et/ou des acteurs médico-sociaux et sociaux autour d’un projet de santé concernant la population d’un territoire. Ce projet doit avoir l’aval du Directeur général de l’ARS pour que la CPTS reçoive des financements. L’ACI fixe le cahier des charges auquel ce projet doit se conformer : l’amélioration de l’accès aux soins est la première des trois missions obligatoires dite « socles », les deux autres étant celles en faveur de « l’organisation de parcours pluriprofessionnels autour du patient » et « en faveur des actions territoriales de prévention ». [2]
Le déploiement des CPTS devra s’appuyer en grande partie sur les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). En effet, l’expansion des MSP a été une première étape dans l’évolution de l’organisation du système de soins primaires, notamment par une contractualisation avec l’AM sur un cahier des charges pour obtenir les financements nécessaires à la coordination des professionnelles et à la mise en place d’actions non rémunérées par le paiement à l’acte. De plus l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 a instauré la possibilité pour un groupe de professionelles (en MSP ou en centre de santé par exemple) d’être rémunéré sous la forme d’un budget global à la pathologie ou pour l’ensemble de la patientèle.
La mise en place des CPTS confirme ainsi plusieurs changements de paradigmes dans l’organisation du système de soins primaires français :
-  d’un exercice solitaire majoritaire, nous arrivons à une injonction au travail pluriprofessionnel coordonné
-  d’une responsabilité éthique et contractuelle vis-à-vis d’une patientèle donnée, nous aurons une responsabilité vis-à-vis de la population entière d’un territoire donné
-  d’un maillage territorial laissé au bon vouloir des professionnelles, se crée (sans le dire explicitement) une organisation territoriale de l’offre de soins, in fine régulée par l’État, via les ARS, au travers des financements mais aussi via une obligation de structuration faite aux professionnelles qui ne s’y plieraient pas spontanément

Quels regards porter sur les CPTS et la nouvelle organisation du système de soin ?

Certains objectifs assignés aux CPTS correspondent à ce que nous avons toujours défendu au SMG  : une approche territoriale et populationnelle des besoins de santé ; un meilleur accès territorial aux soins ; une meilleure coordination des parcours de soins entre médecine ambulatoire, structures hospitalières et médico-sociales ; un travail pluriprofessionnel et en réseau, avec d’autres modalités de rémunération que le paiement à l’acte et l’obtention de moyens pour des actions de santé, et pas seulement de soins, sur un territoire donné. Soulignons toutefois que la pérennité des financements des CPTS n’est toujours pas à ce jour clairement définie.

Il y a aussi de véritables manques par rapport à ce que nous avons toujours défendu :
Les citoyennes sont les grandes absentes de la mise en place des CPTS et de leur suivi. Leur participation, tant au niveau national que local, n’est formalisée qu’à travers la participation à titre consultatif d’une représentante de l’association de patientes France assos santé (créée en 2017 à l’initiative de 72 associations, elle a pris la suite du Collectif interassociatif sur le soin et la santé).
Les inégalités socio-économiques d’accès aux soins ne sont pas du tout prises en compte : dans la mission socle « améliorer l’accès aux soins », les questions d’accès financier sont totalement ignorées, il n’y a aucune obligation de suppression des dépassements d’honoraires ni même de pratique du tiers payant.
La lutte contre les causes environnementales des maladies n’est même pas citée dans la mission socle « actions en faveur des actions territoriales de prévention ».
L’ACI, pas plus que le plan « Ma Santé 2022 », n’aborde la question de l’indépendance des institutions sanitaires et des professionnelles de santé vis-à-vis des différents lobbies et notamment des industries des produits de santé. Rien ne semble empêcher non plus que les CPTS soient financées par des promoteurs privés s’ils y trouvaient intérêt.

De nombreuses questions se posent.
Les CPTS vont-elles être pertinentes pour remplir une des missions principales qui leur sont assignées : l’amélioration de l’accès aux soins géographique ?
Pour « faciliter l’accès à un médecin traitant », l’ACI prévoit que « les professionnelles détermineront qui, au sein de leur communauté, est en capacité d’assurer le suivi de nouveaux patientes », mais encore faut-il que les médecins ne soient pas déjà complètement débordées. L’équation dite « de Pierre de Haas », premier président de la Fédération française des maisons et des pôles de santé : « 1 médecin généraliste avec secrétaire, coordinateurtrice, travailleureuses sociales = 3 médecins généralistes isolées » est-elle si réaliste, même en ajoutant les « nouveaux métiers » tels que Infirmières de pratique avancée, assistantes médicauxales, médiateurtrices en santé ? Le travail en coordination est indispensable et libère du temps mais en prend aussi. Les généralistes effectuent des tâches qui pourraient être aussi bien, et même mieux, effectuées par d’autres, mais n’y a-t-il pas un risque de fractionner la prise en charge au détriment du/de la patiente et de cantonner le/la médecin au rôle de technicienne prescripteurtrice à la chaîne ? Six consultations médicales par heure (contre trois aujourd’hui) c’est ce que l’AM voulait initialement exiger des médecins pour obtenir les aides financières permettant le recrutement d’une assistante médicale !

Que se passera-t-il dans les territoires où aucune CPTS ne sera mise en place par les professionnelles et où les ARS les imposeront ? Comment des soignantes déjà surchargées, non volontaires, pourront-ils répondre à l’obligation d’accepter de nouveauxelles patientes ? Ne dévisseront-ilselles pas leur plaque définitivement ou pour s’installer dans des territoires moins désertés ? Ou bien l’évolution des modes de rémunération les contraindra-t-elle à se plier à ces évolutions ?
De même, on peut s’interroger sur les marges de manœuvre des professionnelles dans la gouvernance de ce qui va devenir leur outil de travail, face à des ARS qui tiendront les cordons de la bourse ; ARS qui ne rendent pas leurs comptes à la population qu’elles administrent mais bien au ministère de la Santé.

Qui va choisir le périmètre du territoire d’une CPTS et en fonction de quels critères ?
L’ACI prévoit des financements selon la taille des CPTS, celle-ci pouvant couvrir des territoires de plus de 175 000 habitantes. Comment est-il possible de se coordonner à si grande échelle ? L’importance du travail administratif en lien avec la CPTS risque de laisser peu de temps pour la coordination des projets de santé.
L’ACI stipule que : « la communauté professionnelle doit établir un diagnostic territorial nécessitant d’examiner les données des caractéristiques de la population du territoire (sur l’offre de soins et les activités de soins, les flux de patientèle, etc.) ». On est bien loin du « bassin de population » dont nous parlons au SMG : territoire qui regroupe des problématiques communes en termes de soins et de santé, échelle pertinente pour analyser les déterminants de santé de la population (environnement, travail, logement…) et mettre en place des actions pour lutter contre les inégalités de santé.

Des pièges sont possibles.
Le financement des CPTS dépendra de la réalisation d’objectifs dont la définition et les modalités d’évaluation devront être inscrites dans le contrat partenarial signé entre la CPTS, l’ARS et la CPAM. Il est prévu que si des professionnelles ne veulent pas intégrer une CPTS, leur financement actuel par subventions puisse être supprimé.
Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le déploiement des CPTS (rédigé en 2018) évoque la possibilité d’un intéressement des professionnelles, voire d’un paiement au résultat pour inciter à leur montage. La porte serait ainsi ouverte à une médecine d’obligation de résultat et non plus de moyen. Toutefois, cette possibilité n’a pas été retenue dans l’ACI de juin 2019.
Ce même rapport souligne le manque de financement de la part de l’État vis-à-vis du montage mais aussi du fonctionnement des CPTS, ainsi qu’un manque de pérennité de ces financements, rendant précaires le déploiement des CPTS. L’ACI de juin 2019 a fixé les montants alloués aux CPTS avec un point d’étape à deux ans, indiquant une possible augmentation selon l’évaluation. Mais sur quels éléments sera décidée cette évolution ? Et d’où viendra l’argent ? Le gouvernement actuel, comme les précédents, fait tout pour baisser les dépenses publiques et donc les dépenses de santé comme en témoigne la crise actuelle de l’hôpital public. Dans quelques années, quand tout sera mis en place et sous contrôle financier direct de l’État, la vis financière risque de se resserrer au détriment des patientes et des conditions de travail des soignantes.

Il y a un risque d’orientation et de contrôle des pratiques à travers les cahiers des charges qui eux-mêmes conditionnent les financements.
L’ACI prévoit comme mission optionnelle « la mise en place de démarches au service de la qualité et de la pertinence des prises en charge ». Il est effectivement intéressant de s’interroger sur le bien-fondé des pratiques, de remettre en question les savoirs et de toujours chercher à améliorer les compétences dans le but d’un meilleur service rendu aux populations accompagnées. Mais le terme de qualité pourrait ici, comme dans le plan « Ma santé 2022 », renvoyer à des arguments relevant d’une logique gestionnaire et tendant vers toujours plus de standardisation. Le choix des critères de ces évaluations aura donc une importance capitale. Mais qui va réaliser ce choix ? Et avec quelles intentions ? La prise en compte des spécificités de chaque territoire, de chacune ? Ou une norme unique pour un coût minimal ? Avec quelles conséquences techniques et financières pour l’organisation des soins ?
Et quel impact la définition de ces critères, conditionnant des financements, aura-t-elle sur les pratiques des professionnelles ? [3]
Dans le contexte libéral actuel, la marchandisation rampante de l’hôpital avec un transfert des activités hospitalières « rentables » du secteur public vers le privé, pourrait bien gagner les soins primaires. Les CPTS risquent d’être une porte ouverte supplémentaire au secteur privé (cliniques, assurances, entreprises du numérique, etc.) pour contrôler les pratiques et les filières de soins, la vente de matériel, de prestations… dans le but premier de faire des bénéfices. Ces profits se feraient au détriment de la Sécurité sociale et même de la santé des gens.

Les outils techniques risquent de prendre le pas sur la relation de soin dans le cadre du développement prévu de la télémédecine et du télésoin.
Le développement du numérique pose également le problème de la confidentialité des données : les contrats de création des CPTS comportent l’obligation d’utiliser un système informatique commun et de remplir les Dossiers médicaux personnels (DMP).

Conclusion
L’ensemble de ces interrogations et pièges soulevées conduit à se poser la question de l’objectif réellement poursuivi avec la création de ces CPTS. D’après la circulaire de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du 2 décembre 2016, l’objectif des CPTS est d’améliorer le parcours coordonné des soins et de limiter les hospitalisations en urgence. La lecture des derniers textes, notamment l’ACI de juin 2019, conduit à penser que le gouvernement voit les CPTS principalement comme une réponse aux problématiques liées aux « déserts médicaux ». Les CPTS sont aussi une réponse aux difficultés actuelles de l’hôpital public, secondaires à des politiques publiques visant à toujours plus de restrictions budgétaires, donc de fermetures de lits, de services, d’hôpitaux, sous couvert du « virage ambulatoire » (cf. les missions socles dans l’article : CPTS : de quoi s’agit-il ?) .
De plus, la signature d’un contrat tripartite (ARS, Caisse primaire d’AM et profesionnelles composant la CPTS) associée à des financements sur objectifs signe encore une fois une gouvernance étatique (certes associée à des initiatives de professionelles), les décisions principales seront prises bien loin des besoins des populations directement concernées et ce n’est pas ainsi qu’une véritable démocratie sanitaire pourra voir le jour. Derrière l’objectif d’améliorer l’accès aux soins de la population, se cache la volonté d’encore une fois réduire les dépenses publiques et donc les moyens mis à disposition.
On peut ainsi voir se dessiner une alliance (ou une utilisation de l’un par l’autre ?) entre un pouvoir technocratique capitaliste ayant une vision de la santé sous l’angle du marché et un corps médical voulant défendre ses privilèges au risque de scier la branche sur laquelle il est assis, et ce au détriment de l’intérêt collectif [4]. La profession médicale, du fait même de son statut social, ne peut de toute façon pas prétendre représenter l’ensemble de la société.
La situation actuelle n’est pas non plus satisfaisante sur bien des points, que ce soit pour les patientes et pour les soignantes ; le statu quo est impossible.
Le débat doit se poursuivre sur cette question des CPTS tout en défendant nos fondamentaux, à savoir un système de santé solidaire accessible à toutes et tous, public, au service de la population et du bien commun.

Vous trouverez aussi une présentation des CPTS et d’autres articles alimentant la réflexion sur les CPTS, et plus largement sur les questions d’accès aux soins et de qualité des soins dans le N° 87 d’octobre 2019 de la revue Pratiques : Cherche médecin désespérément.


[4Nicolas Da Silva, Médecine libérale : vers une prolétarisation du travail médical ?

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