La confrontation au paradoxe participe du développement de la vie. La vie professionnelle n’échappe pas à ce constat. Nous sommes aujourd’hui, avec les Contrats d’Amélioration des Pratiques Individuelles (CAPI), face à l’un de ces paradoxes.
Depuis sa création, le SMG milite pour modifier le mode de rémunération des médecins libéraux. Il y a 34 ans, en écrivant sa charte, le SMG voulait montrer que ce mode de rémunération à l’acte privilégiait une forme de pratique médicale qui valorisait la technique biomédicale au dépend de l’acte de médecine générale qui, par sa globalité, valorise le malade/citoyen comme sujet effecteur de sa santé. Nous n’avons eu de cesse de montrer que la rémunération à l’acte promeut une pratique professionnelle inadaptée au regard des défis de santé qui sont les nôtres en ce début de siècle. Nous devrions donc après tous ces combats menés être dans le triomphalisme puisque l’Etat (1) propose dans la prochaine convention médicale une alternative au paiement à l’acte par l’intermédiaire de ces CAPI.
Ce n’est pas la première fois que cela est tenté. En 1998, la convention de médecine générale créait l’option référent, qui était une forfaitisation de la rémunération sur un changement de pratique professionnelle qui reconnaissait les différents aspects de l’exercice de la médecine générale que sont : le soin, la prévention collective et individuelle, et l’éducation sanitaire support de la reconnaissance des savoir-faire de la personne malade. Cette Option Médecin Référent était un véritable progrès et redonnait sens à l’approche globale de la personne malade. Elle fut farouchement combattue par les syndicats opposés à la diversification des modes de rémunération et l’une des premières mesures prises par le gouvernement de M. Raffarin fut de la supprimer. Cette trahison de l’engagement de l’Etat (et la résignation du syndicat signataire de cette convention) conduit à regarder avec la plus grande méfiance cette proposition d’évolution du mode de rémunération de la médecine générale.
S’ajoute à cette méfiance l’analyse du contenu de ce que sont ces CAPI.
Pour que ce contrat soit juste, il faut que la caisse, le médecin, et aussi le malade y trouve un avantage. Il faut donc qu’à égalité, on puisse montrer ce que sont ces avantages. Il est évident que la CNAM/ETAT propose cette « nouveauté » pour mettre en action son projet de diminution des dépenses de soins remboursables de son panier de soins en développant une prévention individuelle par le dépistage, et en « protocolisant » d’avantage le suivi des maladies chroniques.
Si l’intention peut être bonne, la mise en œuvre va à l’encontre de la finalité du projet. Le plus grave dans ces CAPI est la sélection des malades que cela entraîne. En effet, le contrat sera soumis à l’évaluation des résultats, ce qui déterminera le niveau de rémunération du médecin (la prime au rendement). Chacun a intérêt à ce que les résultats valident leur engagement dans le dispositif, donc forcément les malades dont le profil n’est pas adapté au protocole de suivi seront exclus. Il faut aussi remarquer, ce qui est grave mais révélateur, se sont les caisses qui définissent la nature et la forme des protocoles qui s’imposent dans le dispositif. De plus, il n’est pas proposé que les malades qui bénéficieront du dispositif pourront avoir le tiers-payant intégral comme dans l’option médecin référent.
Il y a une dangerosité à vouloir améliorer une pratique professionnelle en la conditionnant à une évaluation des résultats qui, pour l’essentiel, sont biologiques. Il y aura donc une stigmatisation entre les « bons » malades et les « mauvais » malades, ce qui pour nous est inacceptable.
Autres questions : ces contrats valorisent-ils la médecine générale et facilitent-ils l’exercice professionnel ? Ces deux conditions sont indispensables pour améliorer nos pratiques. Nous retrouvons dans les CAPI le différend essentiel qui nous oppose à la CNAM/ETAT. Cette institution a toujours une fausse représentation de ce qu’est l’exercice de la médecine générale. Il n’est pas de notre propos ici d’en faire l’analyse, mais de constater que systématiquement, la nature complexe de l’exercice professionnel est sous-estimé. Combien de fois faudra-t-il écrire que la médecine générale ne se réduit pas à l’application de protocoles, de référentiels et autre recommandations ? L’acte médical, c’est la rencontre entre un sujet malade et un soignant. La maladie, qu’elle soit étiquetée fonctionnelle ou organique, est toujours dépendante de facteurs existentiels que sont l’histoire de la personne, sa « réalité » sociale, sa vie affective et culturelle. C’est dans l’interaction de tous ces paramètres que se révèle la maladie, l’art de la médecine générale c’est d’adapter le plus efficacement possible la connaissance médicale à la réalité de la personne. Promouvoir un contrat d’amélioration de la pratique en réduisant le suivi des malades à des critères biologiques est une ineptie. Ceux-ci sont tellement dépendants de facteurs qui ne sont pas de la compétence du médecin que, pour réussir, celui-ci sera contraint de sélectionner comme nous l’avons déjà dit, mais aussi de transformer l’action de convaincre par l’empathie à l’action de contraindre par la « menace ». Nous sommes bien alors dans un problème éthique.
Un contrat de cette nature ne peut se concevoir que dans le cadre d’un partenariat. Or dans celui-ci, le pouvoir des Caisses Primaires est disproportionné, puisque le médecin est tributaire du mode de recensement de son activité selon les modalités définies par la caisse. Quand on connaît les erreurs fréquentes dans le chiffrage de nos actes, on ne peut qu’être là encore méfiant. Il ne peut y avoir de véritables contrats sans espace de négociation individuelle, associant un tiers. La relation avec le médecin conseil seul réel interlocuteur ne peut être suffisante.
Nous ne sommes pas pour le laisser faire n’importe quoi. Que la CNAM veuille comprendre ce qui se passe lors de la consultation médicale, cela est légitime puisque elle est l’organisme payeur. Mais comprendre pour mieux aider le praticien à adapter sa pratique au meilleur coût pour le meilleur soin, c’est une chose, « standardiser » la consultation pour mieux la contrôler, c’est autre chose, et c’est le danger des CAPI.
Par contre il est tout à fait possible d’aborder cette transformation des pratiques individuelles entre les associant à l’apport des pratiques collectives. Il existe maints endroits où des soignants mettent en commun leurs compétences pour justement offrir aux personnes malades des savoirs pluriels qui, par leurs interactions, permettent l’accompagnement des maladies chroniques au plus prêts des réalités vécues par la personne malade. Ceci existe dans les réseaux de santé, dans les maisons de santé de proximité en France et dans d’autres pays (les maisons médicales belges par exemple). Le paradoxe ici, c’est de croire que pour améliorer une pratique professionnelle individuelle il faut agir collectivement.
Il y a probablement, en France, une majorité de médecins généralistes qui tentent chaque jour de s’approcher des critères d’excellence. Au lieu de promouvoir une récompense par l’argent, il serait plus utile que la CNAM/ETAT, qui en a les moyens, participe à une analyse de ce qui contrarie en permanence cet accès a l’excellence. Il y a là un véritable chantier à explorer. Mais pour cela, il faut changer de culture dans les rapports entre les organismes payeurs et les professionnels de la santé. Il ne pourra pas y avoir de contrats d’amélioration des pratiques professionnelles des médecins généralistes soutenus par l’Etat tant que la culture médicale ne sera pas remplacée par la culture santé, et que cette recherche louable et nécessaire de l’amélioration des pratiques se pense et s’élabore dans une dimension de santé publique et de démocratie sanitaire.
1) Il faut maintenant parler de CNAM/ETAT tant l’indépendance de la CNAM est devenue impossible.