A l’heure où le Ministre de la Santé va parader sur les ondes pour expliquer qu’il a présidé à la signature d’un accord historique sur le « médecin traitant », à l’heure où va se mettre en place une gigantesque campagne de communication de nature à persuader le public que le but poursuivi est la sauvegarde de l’Assurance maladie solidaire, que peuvent faire les acteurs de terrain que sont les généralistes pour alerter l’opinion et révéler que derrière les effets d’annonce dont ce gouvernement s’est fait le spécialiste en matière de cohésion sociale, la réalité nue est toute autre ?
Ce qui sera dit aux patients, c’est qu’un nouveau système de santé se met en place, un système vertueux qui les engage à choisir un médecin traitant, essentiellement un généraliste qui les soignera et les aidera à accéder de manière coordonnée aux avis des spécialistes si cela est nécessaire.
Ce qui sera dit aux patients, c’est que ce système mieux coordonné va générer des économies, et permettre de sauver la Sécu.
Ce qui sera caché aux patients, c’est que s’est déroulé lors de ce simulacre de négociation entre le proconsul nommé par le pouvoir en place et les syndicats médicaux les plus opposés à une vraie réforme du système de santé, le dépeçage en règle de la Sécu.
Ce qui sera caché aux patients, c’est que les économies virtuelles chiffrées et attendues ne seront jamais au rendez-vous, car aucun moyen n’a été donné aux généralistes pour s’acquitter de la fonction administrative supplémentaire qui leur est dévolue. Au point que le système du médecin référent, un système de coordinations de soins autofinancé, optionnel, volontaire, choisi depuis 1997 par près de 8000 médecins et de 1,5 millions de patients, associant rémunération forfaitaire pour les généralistes en échange d’une bonne tenue du dossier et d’une formation médicale indépendante des firmes pharmaceutiques, et tiers payant pour les patients, a été volontairement détruit par les signataires de cette contre-réforme.
Ce qui sera caché aux patients, c’est que les « négociations » ont moins abordé les réelles difficultés de notre système de santé, que les augmentations tarifaires des spécialistes. Aussi justifiées qu’aient pu être les revalorisations des spécialistes de secteur 1 dont les honoraires étaient bloqués depuis de nombreuses années, on peut s’interroger sur le fait que les généralistes, dans leur ensemble, n’obtiennent rien, rien d’autre que la possibilité de pratiquer un abattage à la pièce en voyant disparaître les systèmes de rémunération forfaitaire qui pour la première fois valorisaient le travail fait hors-consultation (coordination des soins, actions de prévention et d’éducation, formation médicale indépendante, mise à jour des dossiers et des bases de données informatiques, amélioration des pratiques...)
Ce qui sera caché aux patients, mais qu’ils découvriront rapidement, c’est que cet accord signé entre les syndicats de spécialistes et le porte-parole du gouvernement sous l’égide du Ministre de la Santé et des ses conseillers issus de ces mêmes syndicats de spécialistes, ne met pas en place le système du médecin traitant, mais son contournement.
Car une fois les généralistes, faute de moyens, mis dans l’impossibilité de faire fonctionner le système coordonné, l’accès direct au spécialiste sera facturé avec dépassement d’honoraires généralisé.
Au nom d’une mythique « unité du corps médical », le ministre a déjà salué cet accord comme la première convention signée depuis dix ans. Alors qu’une convention médicale spécifique aux généralistes a existé pendant toutes ces années, qui les a vus s’investir massivement, malgré les difficultés, dans la maîtrise des outils informatiques, la formation continue, la prise en charge de pathologies complexes, la prescription en génériques puis en DCI, génératrice d’économies pour la Sécurité sociale comme pour les mutuelles, et donc pour chaque patient, car l’augmentation des dépenses de prescription est l’une des causes majeures d’augmentation de tarif des mutuelles.
Mais cet accord ne concernait que les généralistes, les spécialistes de secteur 1 étant mal défendus, et les spécialistes à honoraires libres refusant de s’investir dans ces accords.
Ici le mépris des hommes politiques issus du sérail pyramidal de l’édifice médical rejoint la logique ultralibérale : le patient doit enfin comprendre que la santé est devenue une marchandise comme une autre ; il doit savoir, obsession des économistes libéraux « combien ça coûte ? », et sortir le chéquier doit devenir pour lui une habitude en passant dans la salle de consultation, quand certains rêvaient encore de prise en charge sanitaire solidaire, égale pour tous.
Cette contre-réforme libérale n’offre aux généralistes aucune perspective hormis la course à l’acte, nez sur le guidon.
A l’heure où la médecine générale est enfin reconnue comme une spécialité à part entière à l’Université, cette contre réforme pose comme principe la supériorité de la médecine d’organe, de l’homme morcelé, sur la médecine générale, médecine de l’homme considéré dans sa globalité.
Aux jeunes généralistes, elle fera office de repoussoir. Confrontés à la difficulté de l’exercice quotidien, à la désertification des campagnes par tous les acteurs de santé (généralistes, infirmières, kinésithérapeutes), à la disparition du système du médecin référent qui correspondait en partie à leurs attentes de sortie du seul paiement à l’acte, ils donneront la préférence à des postes salariés ou s’installeront ailleurs en Europe, dans des pays où les politiques savent quelle est la spécificité du médecin généraliste, la prise en charge du patient dans sa globalité, sur le long terme, et non la distribution de bons pour accès au spécialiste.
Aux patients, elle réserve toute sa cruauté, avec la mise en place d’un accès aux soins dépendant des revenus.
A l’industrie pharmaceutique, elle offre un boulevard : entre des généralistes pressurés dont tous les efforts de prescription raisonnée n’auront servi qu’à réévaluer les spécialistes, et des spécialistes à honoraires libres parmi les plus opposés à la prescription hors-marque (DCI et génériques), le coût réel des médicaments va exploser.
Au final, il faudra constater l’échec de cette contre-réforme, en faire porter la responsabilité aux lampistes que sont les généralistes, et ouvrir la porte aux assurances privées, d’un air désolé, en disant que la Sécu, bien malade, n’a pu être sauvée.
Les communicants du Ministre sauront très bien faire.