« Autorité publique indépendante à caractère scientifique », la Haute Autorité de Santé a été créée par la loi du 13 août 2004, afin de contribuer au maintien d’un système de santé solidaire et au renforcement de la qualité des soins, au bénéfice des patients. Sa charte de déontologie nous apprend que les personnes apportant leur concours à la HAS doivent s’abstenir de tout parti pris, préjugé ou favoritisme : elles doivent faire preuve d’objectivité et savoir ne pas dépendre d’un groupe de pensée ou d’une famille spirituelle ou intellectuelle. Fort bien. Mais derrière la rhétorique de façade, que dit la réalité vraie ?
La HAS est dirigée par un collège de huit membres, dont deux sont désignés par le président de la République, deux par le président du Sénat, deux par le président de l’Assemblée nationale, deux par le président du Conseil économique, social et environnemental. Sur les huit, cinq sont médecins ou chirurgiens, dont trois professeurs. Le président du collège est d’ailleurs le professeur Jean-Luc Harousseau, ancien président du Conseil régional UMP des Pays de la Loire. Un autre professeur du collège est député UMP, et
l’un encore de ses membres était le conseiller santé du premier ministre François Fillon. Savoir ne pas dépendre d’un groupe de pensée ou d’une famille spirituelle ou intellectuelle ? Cette charte de déontologie nous raconte des salades : le conflit d’intérêt est tellement flagrant ! Comment se traduit-il ?
Indépendante et scientifique, la HAS parle avec la haute autorité que lui confère la Science. Ainsi, elle diffuse des recommandations de bonnes pratiques s’appuyant sur les données acquises de la science, chargées de promouvoir le bon usage des soins auprès des professionnels, des patients et du grand public : la schizophrénie, la dépression, le trouble autistique envahissant le développement sont des maladies au sens littéral, à expression comportementale et d’origine neurobiologique, que l’on traite avec des médicaments ou avec des programmes. Et puis la HAS, à travers ses directions de l’évaluation, de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, de la communication et de l’information des publics, impose sous peine de
sanction une procédure indépendante de certification des établissements de santé. Celle-ci est donc une méthode toute scientifique d’évaluation et d’amélioration de la qualité des pratiques professionnelles. La preuve, elle s’appuie également sur l’Evidence Based Medicine, médecine fondée sur la preuve importée d’un monde anglo-saxon pragmatique et utilitariste, pour laquelle une maladie mentale, c’est une maladie comme une autre, dont le comportement visible, statistiquement déviant, est le symptôme évident, incontestable. De ce fait, la « bonne » pratique soignante en psychiatrie se définit comme une méthode objective, quantifiable et reproductible, qui vise à l’efficacité et à la sécurité, à écarter tout risque pour obtenir de bons
comportements. Ce positivisme scientiste échappe à une véritable évaluation par le doute scientifique, puisqu’il repose entièrement sur des présupposés moraux qu’il occulte par auto-validation, confondant science humaine et science exacte...
Que le discours médical n’ait été historiquement convoqué par la médecine de l’âme qu’à titre de représentation culturelle remplaçant la morale religieuse, que la schizophrénie ou la dépression soient par conséquent avant toute autre considération des maladies symboliques, que la norme comportementale et la
santé mentale ne puissent enfin être confondues sans risque de grave contre-sens : tout cela ne peut effleurer une HAS entièrement vouée à l’auto-conviction scientiste, la communication propagandiste de masse. L’amélioration continue de la qualité n’est-elle pas pour elle, courroie de transmission de la rhétorique du pouvoir, un outil de management interne permettant d’adapter les français, soignants comme usagers, à la vitesse folle à laquelle les entraîne la course économique ? C’est ainsi que le gouvernement néolibéral, par HAS interposée, se transforme en gouvernance psychologique et médicale, exerçant sur chacun un biopouvoir invisible. Cette idéologie comportementaliste présidant aux méthodes d’évaluation ayant diffusé de la tête de l’Etat à toute la société, voulant persuader chacun d’améliorer ses performances pour se conformer à
un ordre du monde réduit de la sorte à une simple norme individuelle, a été dénoncée par de nombreux professeurs de psychologie et de sociologie. D’autres instances réellement indépendantes ont mis en évidence
les conflits d’intérêt liant la HAS à l’industrie pharmaceutique...
Alors, comment certifier la HAS ? Une autorité publique indépendante dont toute la science consiste à nous raconter des salades !
Par Olivier Labouret, président de l’USP, juin 2012