Madame la ministre,
Si nous partageons votre analyse sur le drame territorial, social et sanitaire que sont les déserts médicaux, nous sommes forts déconcertés par vos propositions. Dans votre pacte présenté le 12 décembre 2012, vous vous contentez d’appliquer la loi HPST de vos prédécesseurs (dont nous demandons toujours l’abrogation), et vous abordez le problème des déserts médicaux de manière centraliste, peu démocratique et avec tellement de modération que vous risquez sauf à la marge de ne rien changer.
1 - Avant d’expliquer vos propositions, il aurait été bon de réunir les représentants des parties concernées, certes les praticiens et les élus, mais surtout les usagers qui paient de plus en plus cher, qui sont de plus en plus éloignés géographiquement et financièrement de l’offre de soins et dont certains, de plus en plus nombreux, ne consultent même plus.
La Coordination, demandeuse de rencontre sur cette thématique qui est la sienne depuis sa fondation, n’a pas été sollicitée.
2 - La notion de « désert médical » ne concerne pas que la médecine ambulatoire mais tout autant l’hôpital public : les deux souffrent du manque de personnels (médicaux et non médicaux), ce qui sert d’ailleurs trop souvent de prétexte aux fermetures de services. Et même dans les grands hôpitaux des grandes villes, même les plus attractives, bien des postes ne sont pas pourvus.
3 - Fournir en personnel les hôpitaux et territoires qui en ont besoin nécessite forcément de revoir la liberté d’installation qui n’est défendable ni sur le plan éthique, ni sur le plan politique, ni sur le plan social, ni sur le plan sanitaire : élus locaux, généraux et régionaux, conseil de l’ordre, doyens des facultés de médecine, membres de la Cour des comptes, médecins solidaires et usagers dans leur très grande majorité en sont convaincus. Pas vous apparemment. Vous retrancher derrière la formule « pas de coercition » nous semble politiquement incorrect et manipulateur car caricatural. Que doivent dire alors les fonctionnaires d’autres services publics qui la subissent sans compter les professions libérales qui ont accepté une régulation (infirmières, kinésithérapeutes) et les pharmaciens réglementés depuis longtemps ? Pourquoi la règle qui prévaut pour tous les autres domaines de responsabilité de l’État ferait-elle exception en matière de santé ? Pourquoi n’osez-vous pas aborder cette proposition : nomination pour un temps donné (de 3 à 5 ans) des professionnels de santé en fonction des besoins collectifs et non pas des intérêts privés ? Ou pour le moins une régulation de l’installation ? Une mission de service public, en fin d’étude aurait l’avantage de résoudre en même temps, les déserts en médecine ambulatoire et en hôpital, de ne pas faire de discrimination entre généralistes et spécialistes, entre étudiants fortunés et en précarité. La première proposition date de près de 15 ans, elle a été renouvelée par la Coordination, par des Associations d’élus, par des médecins eux-mêmes...
4 - Comment conserver le rôle pivot de l’hôpital de proximité, garantir l’égalité d’accès aux soins et permettre la coordination nécessaire avec les médecins libéraux si vous laissez les directeurs généraux des Agences Régionales de Santé poursuivre de façon arbitraire les restructurations qui les fragilisent, sapent le moral des personnels et détruisent peu à peu le service public.
5 - Comment ne pas ouvrir le recrutement des professionnels de santé alors que le remplacement des professionnels en poste n’est plus assuré, que la crise liée aux retraites massives commence seulement à s’amorcer. C’est à n’y rien comprendre, notre numérus clausus actuel est encore un peu inférieur à celui des années 1970, alors que la population a fortement augmenté (autour de 10 millions d’habitants en plus), que les médecins ne travaillent plus comme avant (le temps de travail moyen s’est abaissé), que la demande médicale a augmenté et s’est diversifiée (du fait du poids accru des personnes âgées, mais également du fait que nous sommes un des rares pays européens à forte natalité), et que bien des spécialités sont déficitaires y compris dans les villes dites attractives (anesthésistes, urgentistes)...
6 - Pourquoi ne prenez-vous pas appui sur le maillage des hôpitaux publics pour proposer un dispositif conciliant la volonté affirmée des jeunes en formation de s’orienter vers le salariat et les besoins des territoires ?
7 - Pourquoi privilégier les maisons de santé au détriment des centres de santé ? Que les professionnels soient salariés ou libéraux, cela reste secondaire, ce qui nous importe par contre dans cette nécessaire médecine collective de proximité :
- c’est qu’il y ait un réel projet de santé pour un vrai service public sanitaire de proximité, avec contrôle des financeurs publics
- c’est que le tiers payant y soit intégral
- c’est que tout dépassement y soit prohibé
- c’est que la santé y soit traitée aussi dans ses composantes d’éducation et de prévention et dans ses dimensions sociales
- c’est que les principaux intéressés, les usagers-patients y aient des responsabilités comme dans les Conseils d’administrations des centres associatifs
- c’est que les conditions d’exercice y soient favorables au patient : pas de revenus à l’acte, mais un salaire ou revenu forfaitaire, permettant de prendre du temps avec les patients et ne plus faire « d’abattage ». Les évolutions récentes de retour au salaire à l’acte dans les centres mutualistes (Mgen, Bouches du Rhône) nous semblent totalement aberrantes.
8 - Pourquoi n’avez-vous pas introduit dans votre plan de lutte contre les déserts médicaux des propositions visant à clarifier les rôles et les règles de financement respectifs de la médecine ambulatoire et des hôpitaux publics en matière de permanence des soins ?
Sans les usagers et les élus et un vrai courage politique pour contrer les égoïsmes corporatistes, les déserts médicaux continueront d’avancer.
Madame la Ministre, tout n’est évidemment pas à rejeter dans vos propositions, certaines vont évidemment dans le bon sens ; mais leur ensemble ne nous semble pas du tout à la hauteur de la crise sanitaire de l’heure. Pour éviter une nouvelle fois de mécontenter des corporatismes aigris et des individualités qui ont perdu tout sens du bien commun et qui profitent de la moindre réformette pour monter au créneau, vous allez vous couper de votre large base sociale qui, après les désastres du sarkozysme, attendait plus d’un gouvernement se déclarant soucieux de sauver nos services publics et notre modèle social.
Fait à Lure le 16 décembre 2012 - Pour la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, son président Michel ANTONY