Ça y était, nous étions assez nombreux pour être reconnus comme « représentatifs ». L’Union Syndicale de la Médecine regroupait les généralistes du SMG, les médecins du travail du SMT, les psychiatres de l’USP, les médecins de PMI. Mitterrand était au pouvoir, Laurent Fabius Premier ministre, on pouvait penser que malgré les pressions des syndicats traditionnels de médecins, le courant que nous représentions allait pouvoir siéger dans les instances décisionnelles de la Sécu, et peser enfin concrètement dans le débat politique sur la santé. Ce n’était pas gagné, même si la raison et les chiffres étaient en notre faveur.
Arrive le congrès du SMG, à Avignon, au Palais des papes, nous sommes plus de trois cents, Georgina Dufoix, la ministre de la Santé doit venir annoncer en plénière la décision du gouvernement. Le syndicat est partagé, certains très confiants, d’autres moins. On décide que si Mitterrand nous refuse la représentativité, on quittera la salle. Hélas, ce seront les inquiets qui auront raison. Georgina Dufoix arrive et annonce le refus de la représentativité. « Trop tôt, prématuré… » La salle entière se lève, quitte la salle et laisse la ministre seule.
Je me retrouve dans les toilettes du Palais des papes, je me vois dans le miroir, les larmes aux yeux, je fais partie de ceux qui étaient inquiets, je ne suis pas étonnée, mais quand même… Déjà sept ans de travail en équipe en médecine générale, une association d’usagers très dynamique, un dossier déjà tout prêt pour que le cabinet de groupe devienne une de ces 50 Unités Sanitaires de Base portées par le SMG, un espoir très fort de participer à un réel changement. Pour la jeune médecin que je suis, cette décision des politiques me plonge dans un sentiment de tristesse et d’impuissance. Puis j’aperçois René Marfaing dans le miroir, je me tourne vers lui, il est en larmes. C’est un collègue que j’aime beaucoup, il a des cheveux blancs, de nombreux combats syndicaux derrière lui, il a un peu plus que l’âge que j’ai aujourd’hui en écrivant, je me dis alors que ses larmes sont peut-être encore plus tristes que les miennes, il peut penser qu’il ne verra jamais de changement dans le domaine du soin. Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que ce refus de la représentativité de notre courant aurait des conséquences aussi dramatiques. Aujourd’hui, je sais que cela a fait qu’on n’a pas eu les moyens d’empêcher le démantèlement actuel de la Sécu.
par Elisabeth Maurel-Arrighi, médecin généraliste