Argumentaire pour le tiers-payant

Publié le mardi 5 juin 2007, par Mady Denantes

Les médecins généralistes, contrairement aux autres médecins-spécialistes d’organes, aux pharmaciens et aux laboratoires d’analyses médicales, n’ont pas le droit d’utiliser le tiers payant de façon systématique : cela est un obstacle important à l’accès aux soins des plus pauvres.

1- Définition et fonctionnement du tiers payant

2- Témoignages pour illustrer le problème

3- Aggravations des inégalités sociales de santé en France

4- Le tiers payant est il inflationniste ?

5- Argumentaire du CoMeGAS

1- définition et fonctionnement

Qu’est ce que le tiers payant ? C’est la possibilité de pratiquer la dispense d’avance des frais. C’est-à-dire que le médecin, au lieu de se faire payer par le patient, se fait régler directement par la caisse d’assurance maladie la partie prise en charge par la sécurité sociale, soit 70 % de la consultation ou 100 % s’il s’agit d’une consultation en lien avec une pathologie pris en charge à 100 % = ALD30 = affection longue durée liste sur le site ;
Si le patient n’est pas en ALD 30, il doit donc régler 6,30 euros dans le cas de la médecine générale secteur 1.

Qui peut pratiquer systématiquement le tiers payant ?
-  Les pharmacies,
-  Les laboratoires d’analyses médicales.

Pour les médecins :
-  Avant la convention de 2004 :
L’option Médecin Référent permettait aux patients ayant signé un contrat avec un médecin référent de pouvoir bénéficier de la dispense d’avance des frais avec leur médecin référent.

-  Depuis la convention de 2004 :

aller sur le site
-  article 4.1.3
-  art L863-1

Le tiers payant est obligatoire pour les patients bénéficiaires de la CMU complémentaire, pour les consultations en lien avec les accidents de travail et les maladies professionnelles (consultations prises en charge à 100 % par l’Assurance maladie)

Pour les spécialistes : il peut être appliqué pour les actes de spécialité à coefficient élevés : cette exigence de seuil disparaît pour les patients exonérés du ticket modérateur (=en ALD).
Pour les généralistes : des accords locaux spécifiques peuvent être conclus pour permettre des formes de dispense d’avance des frais non inscrites dans la convention nationale, notamment pour les actes d’urgence ou pour les cas médicaux non programmés ou pour les soins destinés aux patients en situation de précarité. Il sera procédé, dans ce dernier cas, par l’instance locale, à un examen préalable de la situation économique et sociale de la circonscription (article 4.1.3.3).

Donc le tiers payant est autorisé pour tous les spécialistes pour leurs patients en ALD30 et elle est tolérée aux généralistes sous réserve d’accords locaux spécifiques pour des circonstances particulières.

Cas particuliers :

1- Les patients qui n’ont plus la CMU depuis moins d’un an ont droit au tiers payant sur la partie remboursée par l’Assurance maladie
(application de l’art 38 de la loi du 21 décembre 2001 relative au financement de la sécurité sociale).

2- Les patients bénéficiaires de l’aide à la mutualisation, qui dépassent donc le seuil de la CMU de 15 et bientôt 20 %, ont droit à la dispense d’avance des frais sur la partie non remboursée par l’assurance maladie.

La situation actuelle :
Dans de nombreux départements, le tiers payant est appliqué sans problèmes par les généralistes et les CPAM acceptent de régler ces consultations. Soit qu’un accord local ait été signé (situation du Morbihan), soit que la CPAM tolère cette pratique.
Dans de nombreuses caisses, la prise en charge en ALD 30 donne droit au tiers payant pour les médecins généralistes.

A Paris, le tiers payant n’est pas autorisé, mais toléré de façon aléatoire en l’absence d’accords locaux.
Dans les Yvelines, la CPAM annonce son intention de ne plus appliquer le tiers payant pour les médecins généralistes.

2- Témoignages

Expérience personnelle de 2 médecins généralistes parisiennes associées :

Médecins référents depuis le début, nous pratiquions donc le tiers payant sans problème.
Avec la nouvelle convention, nous sommes obligées de demander à nouveau à nos patients de régler intégralement la consultation ; mais quand cela leur pose un problème, nous n’insistons pas et pratiquons facilement le tiers payant bien que nous n’en ayons pas le droit et bien que le paiement soit incertain même pour nos patients en ALD (affection longue durée).
La CPAM règle la plupart du temps ces consultations et elle les refuse parfois.
Il est à noter que parmi ces refus de paiement, plusieurs concernent des patients qui ont droit au tiers payant , soit parce que ils n’ont plus la CMU complémentaire depuis moins d’un an, soit qu’ils bénéficient de l’aide à la mutualisation.

-  Intérêt annexe du tiers payant dans la pratique quotidienne du MG :
Le médecin généraliste finit ses journées tard, seul(e) dans son cabinet. Le TP permet de terminer ses journées sans une grosse somme d’argent en liquide, sécurité toute simple et appréciable !

-  Intérêt majeur du tiers payant dans la gestion des urgences hospitalières :
Beaucoup de patients vont aux urgences de l’hôpital plutôt que dans un cabinet médical pour pouvoir bénéficier du tiers payant.

-  Télétransmission : avec l’utilisation de la carte vitale et de la télétransmission, les patients ou les médecins en cas de tiers payant, sont remboursés en quelques jours.

Témoignages :

M. G., 58 ans, à la retraite vit à l’hôtel et vient me voir très irrégulièrement. En fin de consultation, je prends sa carte vitale et lui demande 21 euros : il me tend un billet de 20 euros en me disant qu’il est désolé, mais il n’a pas 1 euro en plus. Je m’inquiète de sa situation financière et apprends qu’il n’a plus que ce billet pour finir le mois alors que je viens de lui demander de passer à mon cabinet la semaine prochaine pour le contrôle d’une vilaine plaie...
Je lui explique immédiatement que je vais pratiquer le tiers payant et qu’il ne se soucie pas de ce problème (il est en ALD30). Si la caisse ne refuse pas ce règlement en tiers payant, je serai payé 21 euros dans les 5 jours qui suivent !

L’enfant A, 10 ans, accompagne son grand frère à ma consultation. Le grand frère a une rhinopharyngite, mais je me préoccupe de l’état général d’A. Il est maigre, a l’air fatigué et abattu. Un examen clinique confirme cette impression : il a de la fièvre, une pâleur des conjonctives. Je demande un bilan sanguin en urgence. Pas d’argent : je pratique le tiers payant : 14.70 euros me seront réglés pour cette consultation ; 8 jours plus tard, je n’ai pas de nouvelles d’A. Je présente son dossier à mon associée et nous convenons de téléphoner aux parents pour revoir l’enfant, ce que je fais le soir même. La mère me dit qu’elle m’amènera l’enfant avec un bilan sanguin cette semaine, mais elle a des soucis pour régler les 21 euros : je la convaincs de venir en la rassurant sur le paiement. Nous pratiquerons le tiers payant sur la partie sécu et verrons plus tard pour la partie non prise en charge ; mon associé recevra l’enfant avec sa mère dans la semaine. Le bilan sanguin n’a pas été fait. Devant l’altération de l’état général de l’enfant, mon associée décide d’adresser l’enfant aux urgences.
Dans la semaine, je croise la maman dans la rue : les urgences n’ont pas hospitalisé l’enfant qui a un rendez-vous à l’hôpital Trousseau la semaine prochaine ; en fin de semaine, mon associée revoit l’enfant en urgence : il est très mal. Après un entretien avec le médecin senior des urgences de l’hôpital, elle organise une hospitalisation immédiate.
Diagnostic le lendemain : sida avec 40 T4.

Coût de l’intervention = 3 consultations à 21 euros, dont 14,70 euros pris en charge par la sécu - (l’enfant n’était pas en ALD : affection longue durée) - et beaucoup de soucis et d’énergie de notre part.
La CPAM refuse de régler une des 3 consultations : le tiers payant n’est pas autorisé !

Madame G., 68 ans, diabétique et hypertendue, en ALD30. La pharmacie me demande si elle peut prolonger le traitement prescrit pour 3 mois. J’accepte, mais je demande à Me G. de prendre rendez-vous à ma consultation avec le bilan sanguin habituel : un rendez vous est pris, mais Mme G. l’annule la veille.
Je la croise ce matin dans la rue et m’inquiète du suivi de son diabète : elle a fait la prise de sang, elle est contente de m’annoncer que son taux d’hémoglobine glyquée est à 6,8 % et me demande un renouvellement d’ordonnance pour 3 mois. Elle a des soucis financiers et ne peut pas honorer ma consultation. Je lui explique qu’avec la carte vitale et sa prise ne charge à 100 % liée au diabète, elle sera remboursée en intégralité dans les 5 jours, mais cette avance de 21 euros semble lui poser un problème de trésorerie. Je la rassure : je pratiquerai donc le tiers payant ! J’espère, sans certitude, que ses consultations seront réglées par la CPAM de Paris.

Madame S., 52 ans, hypertendue, croisée dans la rue ce matin qui m’explique qu’elle a passé l’après-midi hier aux urgences de l’hôpital Tenon parce qu’elle toussait. Elle a attendu 3 heures, on lui a fait une prise de sang et une radio et elle est ressortie avec une prescription de sirop pour la toux.
Pourquoi est-elle allée aux urgences surchargées de l’hôpital Tenon ?
Pourquoi n’est-elle pas venue au cabinet médical où une consultation sans rendez-vous est assurée tous les après-midi ? Parce que elle n’avait pas 21 euros, m’explique-t-elle…
Mme S. parle très mal français et elle n’a pas su expliquer qu’elle était hypertendue traitée par un médicament qui pouvait la faire tousser : il suffisait de changer de traitement.

3- Aggravations des inégalités sociales de santé en France

« Inégalités de santé et comportements : comparaison d’une population de 704 128 personnes en situation de précarité à une population de 516 607 personnes non précaires, France, 1995-2002 » Bulletin épidémiologique hebdomadaire n°43 du 31 octobre 2005
Les personnes en situation de précarité examinées par les centres d’examens de santé ont des indicateurs de santé dégradés par rapport à celles qui ne sont pas dans cette situation, avec un accès moindre aux soins.
L’étude a montré un plus grand risque d’absence de consultations médicales et dentaires au cours des deux dernières années pour toutes les catégories de personnes classées en situation de précarité.
La conclusion relève les niveaux élevés des risques pour les groupes précaires et l’importance de leurs difficultés d’accès aux soins.

Une étude de l’INSEE publiée en juin 2005 a montré que les inégalités sociales de mortalité, très importantes en France, se sont accrues au cours des dernières années et qu’au cours des années 1991-1999, l’écart d’espérance de vie entre un homme cadre et un ouvrier s’élevait à 7 ans.
Aux âges actifs, la France se distingue ainsi des autres pays de l’Europe des quinze par un taux de mortalité prématurée particulièrement élevée (elle partage avec la Finlande et le Portugal les taux les plus élevés de mortalité avant 65 ans : données Eurostat 2003) et cette mortalité prématurée est 2,4 fois plus élevée parmi les ouvriers que parmi les cadres.

La pauvreté ne recule pas dans notre pays. C’est l’enseignement du rapport 2005-2006 de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) remis le 22 février au premier ministre. Selon le rapport, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France s’est maintenu, voire a légèrement progressé entre 2001 et 2003 (dernière année étudiée en matière de pauvreté monétaire).
Malgré les effets positifs de la CMU complémentaire, le rapport souligne les difficultés persistantes des ménages pauvres en matière de santé.

4- Le tiers payant est il inflationniste ?

Voir l’article du CREDES : bulletin d’informations en économie de la santé n°27-mars 2000 ;
« Aplanissant les effets revenus, le tiers payant apparaît donc comme un facteur de diminution des inégalités de consommation dues aux écarts de revenus. A morbidité et couverture égales, il tend à rapprocher la dépense des assurés « moins riches » de celle des assurés plus aisés. Cette étude économique tend donc à montrer que le tiers payant est un mode de paiement socialement équitable. Quelques améliorations et prolongements peuvent être apportés ou envisagés. Il serait notamment intéressant d’étendre l’étude à des domaines ou se manifestent davantage les effets revenus, en particulier les dépenses de dentiste. »

« Tous les spécialistes de santé publique savent qu’il faut faciliter financièrement le plus possible l’accès au médecin de premier recours - c’est-à-dire le médecin généraliste - car les diagnostics et traitements précoces, susceptibles d’éviter qu’une maladie ne devienne grave, donc chère, constituent le premier facteur d’économies des dépenses de santé. C’est pourquoi, dans la plupart des pays développés, l’accès au médecin généraliste est dispensée de toute avance de frais et de franchise ; il est absurde de dissuader financièrement ce que des considérations de santé publique et d’économies de santé devraient inciter à encourager » Dr Elie Arié.

« Radios, scanners, actes biologiques, médicaments, actes chirurgicaux lourds… aujourd’hui, le tiers payant représente déjà 70 % de nos prestations… c’est à l’entrée du système de soins qu’il faut tout faire pour inciter les gens à se soigner… »
Un directeur de caisse primaire cité par le docteur C. Lehmann dans son dernier livre : Les Fossoyeurs (Editions Privé-2007)

5- Argumentaire du CoMeGAS (Collectif des Médecins Généralistes pour l’Accès aux Soins)

Face à ces difficultés, il importe que les médecins généralistes, premiers recours pour l’accès aux soins, disposent d’outils efficaces.

Parmi ces outils, la possibilité pour les médecins généralistes de pratiquer la dispense d’avance des frais a montré son efficacité.
Cette possibilité n’est pas prévue par la convention actuelle.
Dans les faits, certaines caisses départementales tolèrent cette pratique ; d’autres la refusent, ce qui nous conduit à des situations absurdes : faire des consultations gratuites à des patients qui ont l’Assurance maladie, qui sont parfois en ALD 30, dont les revenus dépassent de plus de 20 % le seuil de la CMU et qui ne peuvent pas payer la consultation.
Nous demandons le droit pour chaque médecin d’utiliser la dispense d’avance des frais.
Largement utilisée par les confrères spécialistes pour les actes techniques, pourquoi devrait-elle être interdite ou restreinte chez le médecin généraliste, médecin de premier recours ?

« Inégalités de santé et comportements : comparaison d’une population de 704 128 personnes en situation de précarité à une population de 516 607 personnes non précaires, France, 1995-2002 » BEH 2005

« Espérance de vie, cancers : les deux France » ; Prescrire n°279, janvier 2007, p.66

« Aggravations des inégalités sociales de santé en France », Prescrire n°278, décembre 2006, p861.

Monteil C. et Robert-Bobée I. : « Les différences sociales de mortalité : en augmentation chez les hommes, stables chez les femmes » Insee Première 2005 ; (1025) : 1-4

Lehmann C. : Les fossoyeurs, notre santé les intéresse, Editions privé, février 2007.

Argumentaire établi par le Docteur Mady Denantes, médecin généraliste, avalisé par le CoMeGAS -
mai 2007

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