T’as vu la crise ?

Publié le vendredi 29 mars 2019, par Didier Ménard

Une journaliste me demande : « Comment la crise se traduit elle dans votre pratique de médecin généraliste ? » Elle me le demande parce qu’elle sait que j’exerce dans un quartier populaire et donc qu’a priori la crise doit y être plus forte qu’ailleurs. Nous parlons bien de la crise économique qui sévit, pas de la crise de la médecine générale évidemment, quoique il y a peut être un lien non pas de causalité, mais de révélation, car derrière cette question journalistique, le sens de la question est aussi de savoir qu’elle doit être la mission d’un médecin généraliste en période de grande souffrance sociale.

Il est certes bon de décrire ce qui rend visible au fil des consultations les effets de la crise : le chômage des intérimaires, la diminution des heures de travail pour les travailleurs précaires, on peut aussi dire : « l’augmentation de la diminution » des ressources, la difficulté pour les administrations à assumer leur travail, se qui se traduit par une augmentation des retards à l’octroi des droits sociaux, couverture médicale universelle, revenu minimum d’insertion, allocation parents isolée, allocation logement.... et je ne parle pas de la lenteur légendaire de l’accès aux droits liés au handicap car en temps normal si la Maison départementale du handicap n’est pas la formule 1 de la gestion administrative, actuellement c’est le gagnant du concours de lenteur. Et surtout de savoir que tout retard à un droit se paye immédiatement par une grande souffrance comme le fait de ne plus pouvoir manger à sa faim.
Bref en tant de crise c’est encore plus le moment où il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade.

Face à cette situation, quel est le rôle des soignants ? Nous devons soulager la souffrance physique et psychologique, c’est là aussi une évidence. Mais comment ?
En multipliant la prescription des pilules qui endorment la souffrance psychique, en combattant l’angoisse de la perte du travail par l’anxiolytique de référence, et en mettant tous nos patients aux antidépresseurs ?
Bien sûr que non cela n’est pas la bonne manière, notre travail ne consiste pas à endormir la souffrance sociale. Mais si on n’efface pas cette souffrance par la chimiothérapie, que fait-on ?

On accompagne nos patients en ces temps difficiles. Cela veut dire quoi accompagner dans cette période ? Le médecin généraliste comme tous les autres soignants se cache derrière le concept de neutralité nécessaire à la thérapie pour tendre la main et en rester là. Mais cette neutralité ne cache-t-elle pas une fuite face à nos responsabilités ? N’est-il pas plus efficace voire légitime de souscrire et d’encourager les actes de solidarités et de résistances, qui ont plus d’effets thérapeutique que nos médicaments ?! La crise n’est pas une fatalité, elle est le résultat de choix de société qui fabriquent des inégalités, qui elles même créent de la souffrance, qui elle s’exprime dans nos cabinets.

Il ne s’agit pas de militer sur un engagement politique pendant la consultation, mais d’affirmer d’une part à nos patients qu’ils trouveront du mieux être dans leur situation en refusant le fatalisme, et d’autre part de dire à la société que le rôle de la médecine générale et du soin en général ce n’est pas de faire taire la souffrance surtout quand son expression sous les formes de la révolte demeure la seule thérapeutique pertinente.

Didier Ménard

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