Les CAPI, un recul pour la médecine générale

Lettre ouverte à Monsieur Fréderic Van ROEKEGHEM

Publié le jeudi 18 juin 2009

Les CAPI veulent être la nouvelle source d’augmentation des revenus des médecins en sélectionnant les patients « compliants » et en transformant les médecins en « cocheurs » de cases... Voici une proposition de lettre à envoyer au directeur général de la CNAMTS

Lettre ouverte à Monsieur Fréderic Van ROEKEGHEM :

Monsieur le Directeur

Nous avons bien reçu des mains de notre délégué de l’Assurance Maladie le Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles (CAPI). Nous vous remercions de cette sollicitude, mais nous ne signerons pas ce contrat. Permettez-nous de vous dire pourquoi.

Les préoccupations qui sont les vôtres et qui sont exprimées dans ce contrat, à savoir, améliorer la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques, promouvoir les prescriptions moins onéreuses, davantage d’implication dans la prévention, sont aussi les nôtres et cela depuis fort longtemps. Mais force est de constater que pour une fois où l’Assurance Maladie s’intéresse à notre pratique, elle se trompe beaucoup sur la nature de cette pratique. Faut-il que vous soyez aussi ignorant de ce qu’est le travail d’un médecin généraliste pour oser nous proposer un tel contrat. Depuis des années, nous ne cessons d’expliquer à l’Assurance Maladie, qu’en médecine générale, nous ne prenons pas en charge des maladies, mais nous accompagnons des personnes malades. Cette vision réductrice et pour tout dire, technocratique, que vous avez de notre exercice professionnel, vous conduit à imaginer ce type de contrat inadapté. En effet le problème pour nous n’est pas tant d’améliorer notre pratique là où il n’y a pas de problèmes pour la personne, mais là où justement les difficultés sont nombreuses et de tous ordres pour empêcher cette personne de souscrire entièrement au projet thérapeutique que nous lui proposons dans le respect de toutes les recommandations et référentiels appropriés. Nous savons, Monsieur le Directeur, que chacune des personnes diabétiques que nous soignons doivent avoir un examen du fond d’œil chaque année (sauf ceux qui ont une hémoglobine glyquée normale chez qui le fond d’œil peut être fait tous les 2-3 ans, il n’existe pas de consensus scientifique), mais nous constatons chaque jour qu’il est difficile d’avoir un rendez-vous de consultation chez un ophtalmologue, qui en plus respecte le tarif opposable.

Nous gérons au quotidien la complexité de la vie des malades et vous nous proposez de sélectionner les malades ayant le moins de problèmes pour pouvoir bénéficier d’un avantage financier. Il ne s’agit pas alors, d’une prime à l’excellence, mais bien d’une prime à la facilité, qui vise avant tout à l’appât du gain. Nous aurions aimé signer avec votre organisme une convention de travail en réseau, qui nous aide à améliorer notre pratique dans les situations les plus difficiles, c’est-à-dire là où la complexité médico-psycho-sociale s’exprime le plus : cancers, maladies cardio-vasculaires et psychiques dont les causes dépendent du milieu de vie et des conditions sociales d’existence. De ce fait ce CAPI devient pour nous un contrat humiliant, puisque vous pensez que nous ne sommes que des techniciens du corps appliquant mal des protocoles standardisés et formatés.

Nous comprenons bien que votre souci est de diminuer les dépenses d’Assurance maladie, et la place qu’occupent dans ce contrat les problématiques de prescription médicamenteuse en témoigne. Mais il n’est pas possible de vouloir seulement mesurer ce problème à l’aune des préoccupations d’un assureur. Nous ne sommes pas des distributeurs automatiques de médicaments, la prescription d’un médicament est là aussi une pratique complexe. Elle est souvent l’enjeu d’une négociation avec le malade, négociation qui mélange le rationnel mais aussi l’irrationnel. Votre niveau initial, puis l’objectif intermédiaire en fonction de l’objectif cible, tel que cela est décrit dans le contrat, nous assimilent au logiciel d’aide à la prescription, ce que nous refusons d’être.

Votre conception de la prévention est aussi fort réductrice. Là où nous exerçons la médecine générale, il y a de multiples formes d’expression de la prévention individuelle et collective. Là où elle est la plus efficace, c’est quand la prévention permet à la personne malade ou non malade de devenir actrice de sa santé. Améliorer la couverture vaccinale antigrippe et le dépistage du cancer du sein sont, certes, des objectifs louables (la vigilance doit cependant être de mise quant au niveau de transparence, d’indépendance et de fiabilité de la méthodologie utilisée), mais la prévention mérite mieux que cela. Seulement, il aurait fallu que votre « contrat » soit discuté avec les médecins généralistes avant d’être proposé.

Nous ne croyons pas qu’il y ait des contrats standards pour tous les médecins. Il faut penser au niveau de la proximité de l’exercice et inventer des conventions multiformes au sein de partenariats locaux dans le bassin de vie de la population.

Nous savons bien que, là où il y a des difficultés dans l’exercice de la médecine générale, la solution ne peut venir que d’une transformation des pratiques professionnelles. Nous avons innové ce changement de pratiques face aux maladies complexes et situations sociales graves que sont le Sida ou l’usage de drogues. Ce n’est pas un hasard si nous avons inventé les réseaux de santé pour faire face à ces défis. Nous y avons appris que la solution passe par la reconquête de la dimension collective de l’exercice professionnel. L’amélioration de la qualité des soins, l’analyse du coût du parcours de soins, l’implication des personnes malades dans la gestion de leur maladie, la prévention et le changement des comportements par le développement de la démocratie sanitaire sont des réalités qui ne sont pas assez promues par les politiques publiques. Alors comment souscrire au CAPI qui développe une vision archaïque de l’exercice de la médecine générale ?

Monsieur le Directeur, il y a tant à faire pour sauver la Médecine Générale, alors ne perdons pas notre temps avec des mesures inappropriées. L’Assurance maladie veut devenir l’Assurance Santé, c’est un noble choix. Si vous voulez que nous participions à cette transformation, il faudra changer votre représentation de ce qu’est l’exercice de la médecine générale et il faudra clarifier, dans un débat public, ce qu’est dans notre société d’aujourd’hui une protection sociale solidaire et sa place dans le développement d’une santé publique au service des citoyens.

Nous sommes nombreux à être en colère face à cette incitation à souscrire à votre contrat d’amélioration des pratiques individuelles. Nous sommes nombreux à penser que nous devons construire, non pas des contrats, qui individualisent le rapport à la santé, mais des Conventions Collectives d’Amélioration des Pratiques Professionnelles, qui tiennent compte, non seulement des déterminants individuels, mais aussi des déterminants collectifs de santé (pollution du milieu de vie, conditions sociales d’existence). C’est pour cette raison que nous invitons tous nos confères à signer cette lettre.

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