Le 8 février 2008, triste jour, par Didier Ménard

Publié le lundi 11 février 2008, par Didier Ménard

Cette journée du février 2008 restera dans ma mémoire. Et pas comme une agréable journée.

Le matin, je devais assumer des consultations avec l’interne qui fait un stage au cabinet médical. J’avais prévu d’aller ensuite, le plus vite possible, aux Etats Généraux de l’Offre de Santé.

La journée avait mal commencé avec l’annonce à la radio du suicide d’un de nos confères, visiblement dû à un épuisement professionnel. Cela me confortait, au delà de la profonde tristesse que je ressentais, dans l’idée que la réforme de l’offre de soins de premier recours était primordiale. Comme souvent quand on a prévu de faire cours à la consultation, c’est à ce moment-là que nous sommes confrontés à une longue consultation, qui, ce matin se matérialisa avec la tentative de suicide d’une jeune fille de 17 ans.
Pendant la route qui me ramenait à Paris, j’allumais la radio pour entendre le président présenter son plan Banlieue, ou l’art d’enfoncer des portes ouvertes. Je crains le pire pour les EGOS.

J’arrivais donc à la porte des EGOS après qu’ils aient commencé. Je savais que cela allait être difficile d’entrer, vu que les organisateurs avait d’une part refusé d’entendre, pendant la phase de concertation, le point de vue du Syndicat de la Médecine Générale que j’étais venu représenter et, d’autre part, ne voulait pas non plus que nous nous exprimions en cette journée de restitution, puisque nous n’avions pas reçu d’invitation à participer aux débats. Le cerbère de garde à la porte fut peu sensible à mes arguments, et me voici expulsé sur le trottoir : on ne rigole pas avec le règlement pas de badge pas de place. J’essaye de joindre un collègue de MG France, syndicat qui lui a sa place dans cette enceinte, en lui demandant de faire jouer la solidarité syndicale. Ce qu’il essaya de faire. Mais il fallait négocier avec les organisateurs... heureusement la sortie de la présidente de la SFTG me permis de récupérer son badge et me voici avec l’aide de MG France accepté aux EGOS. J’entrais quand même par la petite porte, mais quand on est minoritaire, il faut savoir faire des concessions... à condition qu’elles ne soient pas trop vexatoires.
Ce fut dans un premier temps rassurant de voir toutes ces têtes connues qui me saluaient chaleureusement. En parlant de chaleur, celle-ci ne manquait pas. Cette salle de congrès, le Tapis Rouge, qui fut le siège de campagne de Chirac en 2002, est peu propice aux débats. Une longue salle étroite et étouffante, avec une petite estrade, bref le ministère de la Santé aurait pu faire mieux.

J’arrivais pendant la table ronde sur l’installation des médecins, essentiellement généralistes. Les députés UMP avaient la parole, puis ce furent ensuite des commentaires faits par les représentants des forces syndicales qui ont animé les auditions des différentes composantes qui font le mouvement de l’offre de soins... sauf bien sur le SMG !! .
L’animateur donna ensuite la parole à la salle. Le problème, c’est qu’il la reprenait très vite, si bien que les interventions étaient tronquées et qu’elles n’abordaient que des ressentis, ou petits témoignages, mais en rien un point de vue plus global et plus politique sur la thématique qui venait d’être débattue. Ensuite, ce fut la table ronde sur les modes d’exercices. Le premier exposé fut celui du président de l’Ordre des médecins, qui nous révéla que l’Ordre était pour des maisons de santé disciplinaire ; ce lapsus fit beaucoup rire, mais chacun sait que derrière les lapsus, il y a de l’inconscient. Quant au discours du président de l’UNCAM, ce fut un chef-d’œuvre de discours « faux cul », quand il fait l’apologie du faire ensemble alors que chacun d’entre nous sait que le comportement de l’Assurance maladie est avant tout autoritaire. Puis ensuite, rebelote en 5 minutes, chacun le commentaire des syndicats officiels.
L’arrivée de Mme Bachelot mis fin à cette table ronde pour permettre à l’assemblée d’écouter son discours.

Qu’on dit tous ces gens ? C’est cela l’important.

Ils ont parlé de la formation des médecins généralistes, qui devaient être valorisé, ils ont dit qu’il fallait construire des maisons de santé de proximité, que l’exercice solitaire était fini, que la féminisation de la profession modifiait les conditions d’exercice, que le modèle actuel était périmé, que le paiement à l’acte ne devait plus être exclusif (dixit la CSMF ) et même Madame le ministre a conclu son discours en disant que nous devions être solidaire et que cela était un noble combat.

J’ai donc entendu dire officiellement ce que nous écrivons dans Pratiques depuis 30 ans et que nous défendons syndicalement sur le champ de la santé. C’est un peu rassurant que les élus de la majorité viennent nous expliquer ce que nous savons depuis longtemps. De même, le discours convenu et de circonstance des syndicats médicaux représentatifs peut apparaître comme gratifiant pour nous qui expliquons que le paiement à l’acte est périmé, qu’il faut définir ce que doit être le contenu de notre métier, que l’organisation collective des soignants est une nécessité... mais est-ce que tout cela est une avancée considérable pour réformer le système de l’offre de soins et le faire évoluer vers un authentique système de santé ? Hélas non. Car personne n’a dit que pour réussir cette transformation, il fallait aussi changer de comportement, de culture. « C’est plus facile de déplacer les montagnes que l’esprit des hommes », disait Confucius. Nous sommes confrontés à cette réalité.

Tous ces changements ne sont pas compris pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils peuvent apporter à la crise institutionnelle du moment. Cela veut dire que la condition de pérennisation de ces innovations, c’est qu’elles puissent prendre leur place dans le système existant. Mais il faut alors accepter qu’elles modifient le système existant et que certains y perdent des éléments de dominations. Or, justement, l’expérience nous apprend que les institutions n’ont de cesse de défaire ce que l’innovation construit, lui faisant perdre son pouvoir de transformation. C’est ce que nous avons connu avec les réseaux de santé, qui n’ont même pas été cités au cours des débats. De même, il ne peut y avoir de changement si les innovations sont prises en otage dans le jeu syndical, où la confrontation idéologique et politique est plus présente qu’il n’y paraît. Il ne faut pas confondre défense des intérêts corporatistes d’une profession et changement des pratiques professionnelles.

Si nous devons négocier toutes ces transformations dans le cadre qui est proposé aux EGOS, nous pouvons craindre qu’au-delà des effets d’annonces, qui semblent partagés par tous, que ces EGOS aboutirons à une loi qui normalisera la pratique de la médecine de premier recours aux services des intérêts de ce pouvoir politique qui veut privatiser le système de protection sociale.

Car, et cela est surprenant, la question du devenir de la protection sociale solidaire, la question de l’accès aux soins, la question du financement de toutes ces mesures, n’ont pas été abordées. Il y avait une ambiance surréaliste à entendre parler de toutes ces transformations sans expliquer en quoi cela diminuerait les inégalités de santé autrement que d’offrir des soins sur tous le territoire, alors que les mêmes ne cessent de détruire les services publics de proximité, notamment les hôpitaux locaux. L’hypocrisie est inhérente au discours politique, mais hier on a battu des records, et c’est pour entendre tout cela que j’ai fait tous ces efforts pour être présent. Il faut être un peu masochiste pour défendre les valeurs du SMG.

Heureusement, j’allais pouvoir me ressourcer en sortant de ces EGOS en rejoignant la manifestation du collectif national contre les franchises et pour l’accès aux soins.

Elle était bien là, j’y retrouvais mes amis militants de la défense de la protection sociale, nous avons crié nos habituels slogans, nous nous sommes à juste titre exprimés contre cette injustice sociale qu’est la taxation de la maladie, bref nous avons fait notre devoir d’opposant politique porteur de valeurs de solidarité. Puis, nous avons plié nos banderoles, comme nous n’étions pas nombreux, nous avons pu nous saluer en attendant la prochaine manifestation.

Triste journée.

Didier Ménard, président du SMG

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