Réponse du Collectif des médecins du travail de Bourg-en-Bresse suite à la prise de position du CNOM - 9 septembre 2010

Publié le jeudi 9 septembre 2010, par Collectif des médecins du travail de Bourg en Bresse

COLLECTIF DES MEDECINS DU TRAVAIL DE BOURG EN BRESSE
41 boulevard Voltaire
01000 Bourg en Bresse

à

Monsieur le Professeur Legmann
Président du Conseil National de l’Ordre des médecins

Bourg en Bresse le 9 septembre 2010

Monsieur le Président,

Dans le contexte dramatique actuel de la santé au travail et du démantèlement du métier de médecin du travail, il était d’une extrême importance que l’Ordre des médecins se prononce dans l’axe de la déontologie. Votre intervention lors de la session du 25 juin 2010 sans ambiguïté sur la nécessaire indépendance des médecins et sur le respect de la dignité du salarié et du secret médical en ce qui concerne le dossier médical est d’une grande justesse par rapport aux dérives actuelles et nous nous en félicitons. Comme vous l’écrivez très justement : « Le salarié doit donner un consentement exprès, renouvelé, libre et éclairé au médecin du travail. Le consentement ou l’absence de consentement du salarié ne peut sous quelque forme que ce soit être porté à la connaissance d’une autre personne. »
Par contre, pour répondre à la pénurie médicale, vous faites des propositions allant dans le sens du morcellement de l’activité clinique (par généralistes, infirmières…) contradictoires avec les besoins de la clinique du travail qui requièrent une vision globale où l’entretien clinique et la connaissance des pathologies sont mises en corrélation avec celle du travail. Ceci est indispensable pour construire la pertinence de l’analyse des atteintes à la santé et donc faire des propositions de transformations collectives. Il faut le répéter, c’est cette activité clinique qui est seule capable d’éclairer le déploiement pertinent des actions collectives. C’est cette activité clinique qui permet de construire l’élaboration des liens santé-travail. Or, c’est cela même que le projet patronal veut détruire sous prétexte du traitement de la pénurie. Morceler cette activité entre des personnes qui n’ont pas accès à cette intelligibilité par leur posture professionnelle et par leur manque de formation revient à tuer ce qui a été construit par les spécialistes de la santé au travail et qui est indispensable pour améliorer la santé. Il y a d’ailleurs là un retour en arrière puisque l’Ordre lui-même avait exigé, il y a plusieurs décennies, l’exercice exclusif de la spécialisation en santé au travail pour améliorer la qualité de la prévention en santé au travail. Nous rappelons que l’entrée des infirmières dans les services de santé au travail pourrait être une aide précieuse dans le cadre d’une complémentarité positive mais en aucun cas dans une logique comptable d’interchangeabilité des métiers.

Deux autres points sont d’une grande importance :
-  Votre prise de position omet de parler de la question de l’aptitude. Celle-ci a toujours présenté une grave ambiguïté déontologique et au final un frein à la prévention. Le projet actuel part dans une caricature à visée sélective au seul intérêt de l’entreprise et donc franchement anti-déontologique.
-  Nous avons eu un choc à la lecture de votre phrase : « La pénurie médicale n’affecte pas que la médecine du travail et des solutions innovantes doivent être mises en œuvre sans porter atteinte à la qualité du service que les salariés et les employeurs sont en droit d’attendre. » Elle est en apparence de bon sens et anodine mais fait l’impasse sur de terribles réalités et des conflits d’intérêts majeurs. Elle témoigne d’une méconnaissance profonde des tensions et distorsions qui étreignent la médecine du travail depuis son institution. Il faut connaître, comme nous, les incroyables ravages des logiques gestionnaires et pratiquer au quotidien les pressions des employeurs gestionnaires des services de santé au travail pour pouvoir affirmer que ce que vous proposez est malheureusement illusoire et surtout, de plus, anti-déontologique. Les exigences de prévention de la santé sont devenues nécessairement trop critiques vis-à-vis des managements actuels pour que les missions du médecin puissent répondre aux attentes des employeurs. En effet, vous connaissez depuis 20 ans toutes les luttes que nous avons dû mener au quotidien pour rappeler que, comme tout médecin, nous ne sommes dans notre mission qu’au service exclusif de la santé. Or, au cœur de la problématique actuelle de la santé au travail, il y a un divorce complet entre la santé des salariés et les intérêts de l’entreprise. Et c’est bien parce que cette ambigüité a été cultivée, que les médecins du travail sont dans l’impasse dans des services gérés par les employeurs et donc sans indépendance réelle. Il y a lieu de nommer ici le véritable forcing des directions de service, déjà à l’heure actuelle, qui font comme s’il n’y avait pas cette opposition d’intérêt et veulent entraîner médecins et membres des équipes pluridisciplinaires dans des structures managées par le patronat, de type PARSAT, dans lesquelles est organisée la confusion des rôles et qui rappellent le sinistre Comité Permanant Amiante et les drames qui en ont découlé.
D’autre part, parler de « solutions innovantes » nous paraît vraiment spécieux car au final, le projet actuel est de manière évidente un projet de démantèlement visant à retirer complètement aux médecins du travail leurs capacités de comprendre et d’agir devenues dans bien des cas trop dérangeantes. La pénurie et le remplacement par des professionnels encore moins en capacité d’agir nous paraissent bien en être le moyen. Il s’agit d’une régression oppressante si l’on veut bien ne pas oublier les besoins en santé au travail. Dans un pays riche comme la France, les besoins de santé exigeraient de pallier la pénurie médicale par une révision du numérus clausus, plutôt que d’intérioriser cette pénurie comme inéluctable en recherchant de fausses solutions de remplacement et de substitution de notre discipline par des pis-aller.

Si l’Ordre des médecins a un rôle, c’est bien celui d’exiger les authentiques moyens nécessaires à la protection de la santé. Il doit s’appuyer sur les constats et analyses des spécialistes de la question en adéquation avec leurs diagnostics. S’il est crucial de parler d’indépendance, celle-ci requiert de développer les moyens concrets de sa réalisation sans intérioriser d’autres objectifs que ceux de santé.

En conclusion, il est absolument temps de sortir de plusieurs décennies d’hypocrisie sociétale avec le fossé entre les déclarations d’intention concernant l’indispensable indépendance des médecins du travail et l’organisation structurelle qui représente en elle-même un grave empêchement à l’exercice des missions du médecin du travail. Si l’on n’est pas vigilant à la réalisation concrète de cette indépendance, le désarroi des médecins du travail, bien des postures floues, inappropriées voire des attitudes déviantes de certains ne pourront que perdurer et cela est franchement dramatique. Tant que l’on n’en finira pas avec le positionnement des employeurs, juge et partie sur cette question de la santé au travail, gestionnaires des services depuis 60 ans et maintenant à l’origine du projet de loi actuel, rien ne changera.
Nous trouvions nécessaire que vous soyez éclairés par des praticiens de terrain qui ont l’expérience quotidienne de tous les méandres des empêchements structurels à exercer la prévention en santé au travail, qui ont construit en groupe de pairs les pistes d’action parfaitement possibles et qui sont très inquiets de toutes les fausses pistes annoncées.
La responsabilité du corps médical entier et donc de l’Ordre est gravement engagée, dans une période où jamais la santé au travail n’a été aussi mal, et où l’Etat est en train de prendre des décisions à contresens de ce qu’il faudrait faire, en nous rendant complices et instruments de cette non-assistance à personne en danger.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos confraternelles et respectueuses salutations.

Docteurs Cellier, Chapuis, Chauvin, Delpuech, Devantay, Ghanty, Lafarge

Prise de position du Conseil national de l’Ordre : document "La réforme de la santé au travail passée au crible de la déontologie médicale" ci-joint

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