Le SMG a décidé de faire partie du “Front des Généralistes ?? qui s’est constitué pour soutenir les propositions du rapport Cordier visant à la mise en place d’un service public de santé territorial. Une conférence de presse du Front des Généralistes est prévue le jeudi 19 septembre (12 h 30 au local de MG France), pour peser de façon constructive sur les choix que doit faire le gouvernement dans le cadre de la Stratégie nationale de santé (SNS) que doit annoncer Marisol Touraine le 23 septembre prochain. Didier Ménard y représentera le SMG.
Vous trouverez au bas de l’argumentaire ci-dessous notre analyse critique et les raisons de notre soutien à ce rapport, ainsi que les 19 recommandations elles-mêmes, au format pdf . Vous pouvez également relire notre communiqué de presse à ce sujet : http://www.smg-pratiques.info/Incoherence-et-mepris-ne-font-pas.html
I. Le contexte politique
Promouvoir et défendre un rapport officiel commandé par un gouvernement est toujours tâche difficile. On ne peut pas ignorer les conditions de la commande et le ou les auteurs du dit rapport.
Les motivations qui fondent cette demande doivent être soumises à une analyse préalable, car fondamentale, pour comprendre le contenu même du texte. Le contexte est important et les « non-dits » tout autant. Pour le SMG la méfiance est de rigueur dès qu’un gouvernement se propose de réformer le système de santé. Quand il est de droite, cette méfiance est fondée sur l’idéologie libérale et capitaliste qui s’affirme toujours dans une politique de droite. Quand c’est la gauche, depuis 50 ans, c’est souvent plus ou moins la même chose (en dehors du progrès notable que fut la création de la couverture maladie universelle, CMU, mise en place en 2000). La politique actuelle ne dément pas l’histoire : ce gouvernement n’a fait que limiter les dépassements d’honoraires les plus élevés et, par la signature de l’Accord National Interentreprises (ANI), il soutient les complémentaires santé au lieu de développer l’Assurance maladie solidaire et donc il choisit ouvertement l’économie libérale comme support de sa politique.
Quand le Premier ministre commande un rapport à un comité des sages, qu’il confie cette mission à Alain Cordier, inspecteur des finances, avec pour objet la définition d’une stratégie nationale de santé, nous sommes tout à fait dans le cadre sus décrit : méfiance et intérêt. La situation du pays ne permet plus à nos dirigeants de se contenter d’une réformette à la marge, la crise est trop profonde pour se laisser aller à une gesticulation médiatique et pour maintenir un système favorable aux corporatismes et au secteur privé. Mais alors jusqu’où aller ? Le Premier ministre sait en s’adressant à Alain Cordier que celui-ci connaît bien la question et que, s’il est homme de consensus, il n’en est pas moins indépendant et intègre, porté par des valeurs de justice et avant tout préoccupé par le service rendu à la population. L’équipe des « sages » est constituée de femmes et d’hommes de terrain ayant suffisamment d’expérience et de connaissances pour être dans le sérieux du sujet. Il n’est donc pas surprenant que le rapport qui résulte des travaux et auditions du comité propose une véritable stratégie nationale de santé avec de puissants leviers pour conduire le changement.
II. Un certain nombre de constats de ce rapport sont ceux faits par le SMG depuis toujours.
Voir enfin écrit et argumenté dans un rapport officiel : que le paiement à l’acte est pénalisant pour l’exercice d’une bonne médecine, que l’exercice collectif est indispensable pour construire un système de santé allant au delà d’un système de soins, que l’usager patient citoyen est acteur de sa santé, que la recherche doit être publique, qu’il faut repenser la formation, que l’organisation doit surtout se faire au niveau de la proximité dans un territoire où chacun trouve sa place, que le régulateur du système ne doit plus être le financeur, que le système doit rester solidaire, qu’il est urgent de dépasser les clivages et les oppositions entre libéral et salariat, entre ville et hôpital, entre médical et social ….
Ce rapport dessine bien les contours de ce que doit être un service public territorial de santé.
Tout cela va dans le bon sens, même si, comme nous le verrons, il manque beaucoup de choses, notamment sur les conditions d’exercice de nos métiers.
Ce sont l’analyse de la situation actuelle, de l’évolution des comportements, la question incontournable de la transition épidémiologique, avec l’impact des maladies chroniques et la gestion quotidienne des situations complexes, qui ont guidé l’écriture des « sages ». La crise de l’offre de soins et de son organisation, la crise de l’hôpital public, la crise de la recherche… tout cela était présent : le rapport tente bien de couvrir l’ensemble du champ de l’offre de santé.
Il faut donc lire le rapport dans son ensemble. Il faut s’arrêter sur les 19 recommandations et sur les propositions de la mise en œuvre : ce qui peut être réalisé immédiatement par la loi de financement de la sécurité sociale, ce qui doit être dans une loi de santé publique en 2014 et ce qui doit continuer à être débattu. Cette volonté d’agir rapidement est à saluer.
19 recommandations 15
1. – Promouvoir la santé de chacun et de tous 16
2. – Impliquer et accompagner la personne malade, soutenir l’entourage 17
3. – Créer une instance représentative des associations des usagers du système de santé 18
Un service public territorial de santé : six recommandations 19
4. – Favoriser la constitution d’équipes de soins de santé primaires 19
5. – Garantir pour les malades chroniques une coordination des professionnels de santé,
sous la responsabilité du médecin traitant 21
6. – Renforcer les outils d’appui à l’intégration des acteurs territoriaux 22
7. – Créer un service public de l’information pour la santé 23
8. – Se donner les outils de la coordination et de la continuité ville-hôpital 23
9. – Optimiser la place de l’hôpital dans le territoire de santé 25
10. – Aider à la transmission d’informations entre professionnels de santé 26
11. – Développer la télémédecine à bon escient 28
12. – Mieux garantir la pertinence des organisations et des actes 28
13. – Réformer les modalités de rémunération et de tarification 29
14. – Repenser la formation pour répondre aux nouveaux enjeux 31
15. – Oeuvrer au développement de nouvelles fonctions et de nouveaux métiers de santé 33
16. – Mieux cibler et mieux coordonner les programmes de recherche 34
17. – Renforcer les capacités prospectives et stratégiques 36
18. – Avec les ARS faire le choix de la subsidiarité 37
19. – Réorganiser le pilotage national 38
III. Une question essentielle et qui est probablement la cause du blocage actuel de ce rapport est la question de la régulation.
En affirmant que « la bi-céphalité de l’encadrement du système de santé conduit à de nombreuses faiblesses en terme de cohérence de la politique publique » et en avançant la proposition « d’une tripartition : sécurité sanitaire sous pilotage de l’Etat, promotion et prévention des soins de ville et hospitaliers sous pilotage de l’Etat et des ARS et remboursement des soins et indemnisation de l’incapacité au travail par l’Assurance maladie », ce rapport jette un énorme « pavé dans la mare ».
Affirmer que l’Assurance maladie ne doit plus être régulateur du système de soins, cela veut dire que l’on peut en finir avec la prime à la performance (en anglais « pay for performance » ou « P4P »), les programmes Sophia ou Prado, et toutes les velléités de gérer l’offre de soins de la part de l’Assurance maladie. Cela signifie aussi réinterroger la convention médicale, c’est-à-dire réinterroger les missions des médecins libéraux, le niveau et les modes de leurs revenus, la convention médicale étant en effet officiellement signée entre les syndicats des médecins libéraux représentatifs et l’Assurance maladie.
Cela ouvre effectivement un nouveau champ de débat qui n’est qu’abordé dans le rapport. La question de savoir qui doit réguler le système est un enjeu démocratique important, qui n’intéresse pas que les soignants. Pour le SMG, défenseur acharné de la protection sociale solidaire, cela veut dire qu’en filigrane, la question de la nature de l’Assurance maladie et, au-delà, de la Sécurité sociale, est posée.
Retrouver la Sécurité sociale de 1945 est-elle une revendication juste ? La question de la représentation démocratique des citoyens au sein de cette institution est posée. Depuis la loi de réforme de l’Assurance maladie de 2004, le vrai pouvoir n’est plus au Conseil d’administration de l’Assurance maladie, où siègent les syndicats de salariés et les représentants du patronat, mais à son directeur nommé par le gouvernement et donc, en fait, à l’Etat.
Un véritable service public de santé territorial pose la question de la démocratie sanitaire au niveau des Régions, celle-ci ne peut exister dans le cadre du fonctionnement actuel pyramidal des Agences régionales de santé (ARS). Le rapport n’aborde pas cette question.
Par ailleurs, l’échelon territorial a l’intérêt d’être au plus proche des problématiques avec une gestion globale, mais la distribution des moyens selon les territoires doit permettre de lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès aux soins et de santé, actuellement majeures.
IV. Autres limites du rapport Cordier
La question de l’accès aux soins est présente dans ce rapport. Que le rapport défende le tiers payant généralisé est une chose très importante, mais il ne s’aventure pas sur la question des dépassements d’honoraires et c’est dommage. Il ne remet pas en question non plus le désengagement progressif de l’Assurance maladie et la place grandissante des complémentaires santé dans la prise en charge des remboursements, ni leur demande actuelle de devenir gestionnaires à l’égal de l’Assurance maladie.
La question de la prévention est trop peu développée en ce qui concerne les pathologies environnementales et professionnelles : citons entre autres la souffrance au travail ou les cancers dont l’incidence croît de manière exponentielle.
Le réforme hospitalière est abordée avec la critique de la tarification à l’activité (T2A) mais si le rapport affirme que l’hôpital doit trouver sa place au sein du territoire de santé, il n’aborde pas le problème des restructurations arbitraires qui ne tiennent pas compte actuellement des besoins de soins et de santé des populations (exemples des fermetures des hôpitaux et maternité de proximité).
La question de l’influence des lobbies à tous les niveaux de la chaîne du système de santé (depuis la formation initiale et continue des professionnels, la politique du médicament, la recherche, jusqu’au soin) n’est pas du tout abordée et n’apparaît qu’en filigrane à travers quelques phrases : « formation au regard critique », « indépendance de la Haute Autorité de Santé (HAS) ». Ce faisant, ce rapport sous estime la puissance d’opposition de ces lobbies. La nécessité de l’indépendance de tous les acteurs du système de santé, y compris des associations de malades, et la lutte contre les conflits d’intérêt n’est pas clairement affirmée. Pourtant après les multiples scandales sanitaires (citons l’emblématique scandale du Médiator), on pourrait penser que les mentalités puissent évoluer.
Le rapport est soucieux de l’efficience du système de l’offre de santé mais ce système ne peut pas se réduire à la seule valorisation des normes fussent-elles partagées, et ne peut pas promouvoir la performance du vivant (par le développement de l’intéressement financier à la performance économique et formatée des soins) sans pervertir et corrompre la relation de soins profes-sionnel/usager-patient.
Croire que le Dossier médical personnalisé (DMP), déjà très coûteux, et au-delà, la télémédecine, seront des solutions à court terme des problèmes de coordination des soins et de l’accès aux soins (outre les problèmes éthiques, juridiques, économiques ou organisationnels qu’elles posent) est par trop optimiste.
Concernant la formation, le rapport promeut le développement de la filière universitaire de médecine générale (FUMG) ce dont nous nous félicitons. Il évoque le développement des sciences de la santé, de nouveaux métiers (infirmiers cliniciens) et de la sélection à l’entrée du cursus universitaire en santé.
Ces questions nécessitent un débat public.
En conclusion :
Nous pensons, qu’en raison de sa ligne principale d’un système public de santé pensé à l’échelon national (« nature inter-ministérielle des questions de santé ») et géré à l’échelle territoriale des Régions et des bassins de vie des populations, intégrant le médical et le social, l’hôpital et la ville, avec toujours le souci de plus de démocratie, d’égalité et de justice pour tous les citoyens, ce rapport, malgré ses limites, ses manques et ses divergences doit être défendu par le SMG .
Nous savons déjà que beaucoup de forces réactionnaires veulent sa disparition, qu’au sein du gouvernement, nombreux sont ceux qui craignent l’affrontement avec la médecine spécialisée qui ne gagne pas grand chose, immédiatement, par ce rapport, même si son avenir s’inscrit dans celui-ci.
Ce rapport dérange ceux qui l’on commandé et c’est paradoxal.
Ce rapport, dans certaines de ses recommandations, peut aussi rencontrer l’opposition de certains syndicats de salariés en raison du risque potentiel de disparition de leur rôle de co-pilotage national (pourtant fictif à l’heure actuelle) de l’Assurance maladie.
Alors, ce sont à tous les acteurs de terrain, aux syndiqués et aux non-syndiqués, aux travailleurs (libéraux ou salariés) dont les médecins, les infirmières et infirmiers, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les sages-femmes, les pharmaciens, les aides-soignantes, les aides à domicile, les travailleurs sociaux etc... à tous ceux qui croient que l’exercice collectif dans le cadre d’un service public territorial de santé est leur avenir, de se bouger. L’heure est à la constitution d’un front uni pour la création de ce service public et pour la défense d’une protection sociale solidaire. Ce front commencera par la constitution d’un front uni des médecins généralistes.
Pour le SMG
La Commission exécutive