Marie Kayser, membre du Syndicat de la Médecine Générale et du Comité de rédaction de la Revue Pratiques, les cahiers de la médecine utopique
L’arrêt de travail, un outil thérapeutique remis en cause
« Quelle que soit la cause de l’interruption de travail, la Sécurité sociale suppose qu’il est paré aux conséquences de cette interruption » ; le versement d’indemnités journalières (IJ) par l’Assurance maladie aux salariés en arrêt, repose sur cette déclaration du Plan français de la Sécurité sociale de 1945.
Le contrôle des arrêts est assuré par les médecins conseils de l’Assurance maladie. Le salarié peut aussi, selon son statut et les conventions collectives, toucher des indemnités complémentaires. Depuis 1978, celles-ci peuvent être suspendues sur l’avis d’un médecin contrôleur privé, envoyé par l’employeur.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, permet aux Caisses d’Assurance maladie de se baser sur les rapports de ces « médecins contrôleurs patronaux », pour suspendre les IJ. Un décret vient d’en préciser les modalités d’application (cf. encadré). Le salarié peut contester cette décision.
Ce n’est pas la première attaque sur les arrêts de travail. Depuis 2004, leur baisse est un des critères conditionnant les augmentations tarifaires des médecins Ceux-ci sont formatés à prescrire l’arrêt le plus court possible. Ils sont menacés d’être « mis sous tutelle » pour les arrêts si leurs prescriptions sortent de la moyenne. Et aujourd’hui l’attribution des IJ va dépendre de médecins en plein conflit d’intérêt, puisque payés par des société privées qui sont financées par les employeurs (1).
L’arrêt de travail est maintenant présenté comme un des fossoyeurs de l’Assurance maladie. Le travailleur est soupçonné de fraude et le prescripteur de complaisance. Les sociétés privées avancent un chiffre de 15 % d’arrêts contrôlés injustifiés ; l’Assurance maladie parle de 11 à 13 % selon la longueur de l’arrêt (2). Mais il s’agit de contrôles ciblés et non d’études indépendantes à partir de contrôles systématiques.
Ce sont les arrêts de plus de 45 jours qui contribuent pour l’essentiel à l’augmentation des IJ (3). Une étude de la Caisse Nationale d’Assurance maladie de 2004 montre que, plus les arrêts sont longs, plus la proportion des plus de 55 ans est importante et que les conditions de travail semblent jouer un rôle important dans la longueur des arrêts (4).
Il serait aussi important de connaître le nombre d’arrêts que les salariés refusent alors que leur état de santé le justifierait : difficultés financières, peur de licenciements ultérieurs, surcharge de travail pour les collègues… Sans parler de la sous-déclaration des accidents de travail et des maladies professionnelles.
Plutôt que de culpabiliser médecins et patients, le gouvernement ferait mieux de s’interroger sur les raisons de l’augmentation du nombre des arrêts. En médecine générale, les effets délétères du travail se constatent au niveau de la symptomatologie physique ou psychique. Les troubles musculo-squelettiques augmentent de même que les cas de souffrance au travail. L’arrêt est le premier et parfois le seul outil dont dispose le médecin pour protéger la santé d’un salarié sans attendre une aggravation.
Les médecins doivent continuer à utiliser l’arrêt comme un outil thérapeutique, les salariés peuvent contester auprès de l’Assurance maladie les avis du médecin patronal ainsi que les décisions du médecin conseil ; mais cette remise en cause des arrêts ne pourra être contrée que par la mobilisation collective de tous les acteurs concernés.
1) Coût d’une visite à domicile au moins 90 euros HT pour l’employeur
2) Etude de la CNAM non publiée mais reprise par le quotidien La tribune du 9 juin 2009
3) Comptes de la sécu pour 2008 et prévisions 2009
4) Point d’information mensuelle de la CNAM d’octobre 2004 : étude sur les patients en arrêt de travail de 2 à 4 mois