Se féliciter de l’article 14 du projet de loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires, c’est vendre son âme pour un plat de lentilles

Publié le mercredi 24 septembre 2008

Il faut être d’une grande naïveté pour croire que cet article (1) porte effectivement reconnaissance de la médecine générale. Cela, sans tenir compte des autres coups bas portés à la médecine générale, comme le maintien de la précarité de la filière universitaire de formation des médecins généralistes, ou comme le bradage de la formation médicale continue des médecins généralistes. Cet article 14 organise, au contraire, la soumission de la médecine générale à une vision normative de cette médecine au service d’intérêts économiques, qui ne sont pas ceux des citoyens ni ceux de la protection sociale solidaire.

Tout d’abord, il ne faut pas prendre pour argent comptant les formules convenues. Nous le savons trop pour avoir été, dans le passé, mystifiés par des formulations d’évidence qui deviennent des contraintes dans les décrets d’application. Car il faut tirer les enseignements de la réalité. Les formules du genre : assurer le dépistage, le diagnostic, le traitement des maladies, l’éducation pour la santé, ne sont que des évidences qui font le quotidien des médecins généralistes.

Mais ces évidences changent de nature quand il est écrit que tout cela est organisé par l’Agence Régionale de Santé, sous la responsabilité du représentant de l’Etat. Sachant que les articles qui définissent les ARS ne brillent pas par leur exemplarité en ce qui concerne la vie démocratique de cette nouvelle institution, se satisfaire de cet article c’est se soumettre à la puissance publique qui, en la matière, fait preuve depuis de nombreuses années de son ignorance en ce qui concerne la réalité de l’exercice le médecine générale.

On voit poindre alors le premier danger de cet article : c’est soumettre à la loi la pratique professionnelle, définie non plus par l’exercice de la médecine sous toutes ces facettes, mais comme application contrainte de protocoles, de référentiels, de recommandations qui, s’ils sont légitimes d’un point de vue scientifique (ce qui n’est pas toujours le cas), ne répondent pas aux besoins des populations. C’est tout l’art de la médecine de justement adapter ces recommandations aux réalités de vie des personnes qui viennent consulter le médecin généraliste. On notera à ce propos que l’intitulé de l’article fait référence aux besoins de santé des populations, mais que rien ne définit ce que sont ces besoins et comment ils sont « négociés » avec la population. Il est clairement énoncé que le rôle du généraliste sera l’application des ces recommandations, qui ont force de loi, et là encore sans aucun espace de négociation quant au bien fondé de ces protocoles et recommandations.

Nous glissons sûrement vers une vision technicienne de la médecine générale, le médecin généraliste devenant alors un ingénieur du corps, appliquant des normes ISO. C’est ce que souhaitent les gestionnaires de l’Assurance maladie, car cela permet de mieux contrôler les praticiens et surtout de mettre en application la maîtrise comptable des dépenses de santé. A cet article 14 s’ajoutent l’obligation d’utiliser le dossier informatisé, l’obligation de participer à la politique de santé publique, aux campagnes de dépistage. Ce qui en soit n’est pas stupide, mais qui le devient quand, là aussi, il n’y a pas d’espace de négociation.
-  Devrons nous être sanctionnés si nous refusons de participer au dépistage du cancer de la prostate selon la procédure vendue par le lobby des urologues, en utilisant des outils qui ne font pas consensus dans la communauté scientifique ?
-  Ou quand nous serons obligés d’utiliser un dossier médical informatisé standardisé, outil de contrôle des pratiques professionnelles et des conduites des malades. Comme l’époque est au tout contrôle et que l’idéologie dominante est la suspicion envers les malades, ceci est excessivement dangereux.

L’autre grand danger de cet article est qu’il ne dit rien sur ce qu’il se propose de faire, c’est-à-dire l’organisation pratique de cette offre de soins de premier recours. A part d’énoncer là aussi des évidences du genre coordonner les soins, orienter le patient dans le système de soins (ce qui est d’ailleurs devenu terriblement compliqué avec la loi de 2004 : loi Douste-Blazy ), ou le système médico-social. Rien sur les nouvelles formes de rémunération pour assumer toutes ces tâches, rien sur l’organisation des coopérations entre les soignants : réseaux ; maisons de santé. Après les grandes déclarations de Madame le ministre de la Santé, nous aurions pu espérer que les conclusions des Etats Généraux de la Santé soient effectivement présentes dans ce projet de loi : que nenni… les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

Nous ne sommes pas dupes : cet article 14 est rajouté à la loi pour satisfaire le syndicalisme de la médecine générale qui, s’il s’en satisfait, oubliera la dangerosité de toute la loi qui réalise l’étatisation de l’offre publique de santé par la réforme de l’hôpital lequel, mis en concurrence déloyale avec le secteur privé, sera forcement perdant et donc disparaîtra. Et ce syndicalisme acceptera les ARS, véritable outil de destruction du service public de santé, dans lesquels ces mêmes syndicats ne sont même pas représentés. Ce n’est pas leur participation à la conférence régionale de santé qui changera le rapport de forces qui défavorise la représentation des professionnels et des usagers.

(1) Article 14 : Principes d’organisation de l’offre de soins
en niveaux de recours et définition de la médecine générale
de premier recours.
Le présent article a pour objet de définir un principe
d’organisation du système de santé au niveau régional fondé sur
les différents besoins de nos concitoyens.
Les besoins de proximité correspondent au premier recours
et nécessitent une présence resserrée sur le territoire.
La prise en charge des besoins plus spécialisés qui font appel à des
ressources plus rares doit s’organiser sur un maillage et selon
des modalités différentes. Elle correspond au second recours.
Ces définitions ont vocation à structurer l’organisation des
SROS et à considérer, localement, l’accès à des soins de premier
recours comme un sujet à part entière faisant l’objet d’une
réflexion spécifique.
L’offre de soins de premier recours comporte l’ensemble des
professionnels susceptibles de répondre aux besoins de
proximité de nos concitoyens. Elle n’est pas retreinte aux seuls
médecins généralistes et doit inclure des spécialistes et les
paramédicaux.
Par son rôle spécifique dans la prise en charge et
l’orientation des patients dans le système de soins, le médecin
généraliste de premier recours devient l’acteur pivot de
l’organisation de l’offre de soins ambulatoire.

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