Il faut garantir l’indépendance du corps médical et des autorités de santé en France

Publié le jeudi 21 mars 2013, par SMG

Article écrit à la demande de NewsPress pour le site de l’AFP : http://www.afp.com/fr/professionnels/partenaires/newspress/docteurs-menard-et-lalande-il-faut-garantir-lindependance-du-corps-medical-et-des-autorites-de-sante-en-france

Voici l’article proposé à l’AFP dans son intégralité :

Didier Ménard, président du Syndicat de la Médecine Générale et Martine Lalande, rédactrice en chef à la revue Pratiques, les cahiers de la médecine utopique

1) Le SMG a publié un communiqué sur les pilules contraceptives. Est-ce un combat syndical ?

Le Syndicat de la Médecine Générale (1) a été créé en 1975, dans la foulée de mai 68, par des médecins qui ont voulu, à partir de la médecine générale, poser les questions de santé dans la société. Ils ont créé la revue Pratiques ou les cahiers de la médecine utopique (2) avec des médecins, des philosophes, sociologues, économistes… et des usagers sur l’idée que ce qui se passe dans le domaine de la santé est politique. Une partie de la même équipe a créé la revue Prescrire, qui analyse les médicaments et les procédures de soins, avec indépendance et pertinence. L’article de la revue Pratiques de 1977 qui parlait des risques du Médiator© était signé d’un médecin futur rédacteur en chef de la revue Prescrire. Le SMG s’intéresse à tout ce qui concerne la santé et son organisation en France. L’une de ses premières revendications est l’indépendance des médecins vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique et des assurances, il appelait dès 1975 au boycott de la visite médicale des laboratoires. Le SMG défend aussi l’accès aux soins pour tous, avec une assurance maladie réellement solidaire, et le passage du soin à la santé avec la lutte contre les causes environnementales des problèmes de santé (travail, logement, pollution, alimentation...). Le SMG a créé des maisons de santé dès 1981, les « unités sanitaires de base » : celle de Saint-Nazaire, qui malheureusement n’a eu l’agrément de l’Assurance maladie que peu de temps, préfigurait le modèle actuel d’organisation collective pour l’accès des citoyens à la santé. Le SMG a été très impliqué en 1975 dans le Mouvement de Libération de l’Avortement et de la Contraception, il est logique qu’il ait un avis sur le scandale des pressions exercées par l’industrie pharmaceutique pour commercialiser des pilules sans intérêt supplémentaire avec plus d’effets indésirables que les anciennes.

2) Vous défendez l’indépendance. Désignez-vous votre syndicat comme une vigie face à l’industrie pharmaceutique ?

Nous ne sommes pas les seuls à dénoncer l’influence des firmes pharmaceutiques. Il y a la revue Prescrire, et le Formindep, collectif « pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes » (3) qui se bat pour faire appliquer la loi sur la transparence de l’information médicale et l’obligation pour les professionnels de santé et ceux qui s’expriment publiquement sur un produit de santé, de révéler leurs éventuels liens directs ou indirects avec l’entreprise qui commercialise ce produit. Hormis les lecteurs de Prescrire et les militants, quasiment tous les médecins français ont des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. Cela met en cause leurs prescriptions et leurs déclarations, et ce qu’ils apprennent aux jeunes médecins ou participants aux formations et congrès. Le SMG participe au regroupement d’associations initié par Prescrire, le « Collectif Europe et médicaments » (4), qui veut faire progresser les politiques de santé européennes vers plus d’indépendance. Il propose une loi de transparence sur les liens entre industrie et médecins, et lutte pour une information indépendante des patients.
Malgré les scandales révélant les risques sanitaires de l’influence des lobbies pharmaceutiques, le gouvernement français n’arrive pas à prendre position. En témoigne le projet de décret d’application de la loi « relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé » dit « Sunshine Act », qui laissait chaque soignant recevoir jusqu’à 1000 euros par an de l’industrie pharmaceutique sans avoir à déclarer de lien d’intérêt et ne prévoyait pas de déclaration des contrats entre médecins et firmes (pour les consultants ou les intervenants dans les colloques). La revue Prescrire et le Formindep ont quitté la salle pour protester.

3) Qu’est-ce qui menace l’indépendance du corps médical en France ?

L’industrie pharmaceutique est partout pour influencer les prescriptions. Des visiteurs médicaux, en ville comme à l’hôpital, créent des liens avec les médecins, les invitent à déjeuner, subventionnent leurs réunions, leur payent des voyages, et présentent leurs produits avec des cautions scientifiques rarement objectives. A l’hôpital, les firmes subventionnent des travaux de recherche. Elles ciblent les médecins "leaders d’opinion" pour influencer les prescriptions des autres. Elles fournissent aux hôpitaux des médicaments à un prix très bas, et à la sortie de l’hôpital, ces prescriptions renouvelées par les médecins coûtent beaucoup plus cher à l’Assurance maladie. Même s’ils sont plus dangereux que d’autres médicaments mieux évalués. Les manuels des étudiants en médecine et les cours de préparation à l’internat sont influencés par les firmes, sans compter les conflits d’intérêt des enseignants. L’industrie finance par sa publicité la quasi totalité de la presse médicale en dehors des revues Prescrire et Pratiques.
Il y a d’autres dangers pour l’indépendance des médecins. Les assurances privées , qui gagnent une partie du marché du remboursement des soins, pourraient faire pression sur les médecins pour rationaliser les soins au détriment de leur qualité. Qui les empêchera de refuser des soins jugés trop coûteux, comme la kinésithérapie, ou les arrêts de travail… ? Le gouvernement ne semble pas conscient de ce risque avec le transfert du remboursement d’une partie des soins aux complémentaires, assurances pour la plupart. Ni l’Assurance maladie qui se place en « régulateur » de l’offre de soins avec un « paiement à la performance » des médecins sur des critères discutables (comme la mammographie chez les femmes après 50 ans, lorsque la pertinence de ce dépistage pose question) ou centrés sur les dépenses sans prendre en compte la prise en charge globale de la santé.

4) En ce qui concerne les produits pharmaceutiques, l’Agence du médicament et la Haute Autorité de Santé contrôlent leur production et leur utilisation ?

L’Agence du médicament a des conflits d’intérêts, l’HAS aussi. Le Formindep et Prescrire ont révélé les liens avec les firmes pharmaceutiques de nombreux experts de ces institutions comme à l’Agence européenne du médicament, qui autorise la mise sur le marché des produits. L’HAS, qui émet des recommandations de « bonnes pratiques », a été obligée par le Conseil d’Etat de retirer celle concernant le traitement du diabète après que le Formindep ait dénoncé le non respect de la législation sur les conflits d’intérêt des experts participants. Sans attendre le jugement, elle a retiré sa recommandation sur la maladie d’Alzheimer et six autres en raison de liens d’intérêt des experts. Et quand ces instances conseillent la prudence, elles ne se donnent pas les moyens d’être entendues. L’Agence du médicament conseillait dès 2001 de ne pas prescrire les pilules de 3e génération en première intention et l’HAS en 2007. Face à la pression des laboratoires pharmaceutiques, ces avis n’ont pas eu d’effet.
En France, les médecins déclarent très peu les effets indésirables des médicaments à la pharmacovigilance, ce qui est une obligation. Les patients peuvent maintenant déclarer directement les effets des médicaments, mais ils ne le savent pas. On attend les scandales et les plaintes pour réagir.

5) Y a-t-il autant de conflits d’intérêt dans les autres pays d’Europe ?

La France est le pays où l’industrie pharmaceutique est la plus présente auprès des prescripteurs. En Belgique, les étudiants apprennent la thérapeutique avec les noms de molécules, pas les spécialités pharmaceutiques. En Allemagne et aux Pays-Bas, on prescrit beaucoup moins qu’en France. Les Anglais ont un système de santé publique très développé, ils ont arrêté de prescrire les pilules de 3e génération en 1995… En 1996, des propositions étaient faites en Suède (déclaration internationale d’Uppsala) pour la transparence et le contrôle public des décisions concernant les médicaments pour tous les pays, industrialisés et en voie de développement.
En Europe, toutes les Agences du médicament (et l’Agence européenne) ont des conflits d’intérêts. On est loin de la transparence de l’information aux soignants et aux citoyens. Et encore plus loin de l’indépendance garante de décisions au service de la santé des patients. Les lobbies pharmaceutiques sont très influents dans les instances européennes, commission du médicament et parlement. Un règlement européen sur les essais cliniques moins protecteur pour les patients est en cours d’adoption. Ils cherchent à empêcher toute modification législative gênant leurs intérêts. Les firmes ne sont pas obligées de faire des essais comparant leurs produits avec les médicaments ayant déjà prouvé leur efficacité. Or très peu de médicaments apportant un réel intérêt sont actuellement commercialisés.

6) Que pourrait-on faire dès maintenant pour faire évoluer la situation vers plus d’indépendance ?

Il faut interdire la visite pharmaceutique auprès des prescripteurs, à l’hôpital et en ville. Appliquer l’obligation pour les médecins de déclarer leurs liens d’intérêt dans la formation ou les interventions publiques. Ne pas valider les formations invitant des experts ayant des conflits d’intérêt sur le sujet traité. L’industrie pharmaceutique ne doit pas intervenir auprès des étudiants. Il faut valoriser et multiplier les formations indépendantes développant l’esprit critique.
Imposer la déclaration au premier euro des avantages offerts par les firmes aux soignants. Rendre cette déclaration consultable par les citoyens sur un site Internet.
Interdire la publicité à la télévision pour les médicaments, même non remboursés. Promouvoir le droit à l’information des patients et la déclaration directe à la pharmacovigilance. Renforcer la pharmacovigilance et soutenir les lanceurs d’alerte pour repérer les risques avant les catastrophes.
Exiger un véritable « Sunshine Act » : la déclaration au premier euro de tous les avantages et rémunérations offerts par les firmes aux soignants, les liens d’intérêt de chaque médecin ou chaque personnalité étant consultables sur un site internet unique accessible à tout public.
Mais les médecins, au-delà de la distribution de soins, doivent avoir des missions de santé publique basées sur les besoins de la population, les risques sanitaires et environnementaux. Ce qui sous-entend une autre organisation du système de santé, pour laquelle milite le SMG.

1) Syndicat de la Médecine Générale : http://www.smg-pratiques.info/

2) Revue Pratiques : http://www.pratiques.fr/ et les différents dossiers publiés http://www.pratiques.fr/-Tous-les-numeros-.html

3) Formindep : http://www.formindep.org/-Qui-sommes-nous-.html

4) Collectif Europe et médicaments : http://www.prescrire.org/Fr/1/194/48278/2296/SubReportList.aspx

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