Le SMG appelle à ne pas signer maintenant les contrats de coordination des professionnels de santé libéraux intervenant en EHPAD. Des négociations sont toujours en cours et la date de signature de ces contrats est repoussée jusqu’à fin juin. Cette question fait débat.
Martine Lalande :
La question des EHPAD mobilise pas mal dans les cabinets et est intéressante : l’idée de signer un contrat et de s’engager sur une certaine qualité de prestation ne me semble pas idiote, mais en contrepartie les façons de fonctionner des EHPAD ne sont pas simples pour les médecins qui y vont voir des patients. Il y a un réel risque de désinvestissement des médecins (les jeunes surtout il me semble) qui supportent mal ces conditions : infirmière difficile à joindre (elles sont surchargées), logiciels informatiques obscurs et un seul ordi pour plusieurs médecins, pas de salle où voir les patients quand ils ne sont plus dans leur chambre, et aussi peur d’exigences de services à rendre en urgence si on s’engage plus (visite urgente en cas d’incident, etc). Je vois que maintenant beaucoup de médecins qui sont maîtres de stage envoient leurs stagiaires dans les maisons des retraite parce que c’est plus simple, et même si c’est formateur, ce n’est pas terrible qu’ils n’y soient pas encadrés et il y a les « vieux » médecins qui font leur visite à toute vitesse et voient (ou pas) 10 patients à la suite en facturant 10 visites c’est une « chasse gardée » plutôt rentable et pas tellement logique. Dans la maison de retraite où je vais, ils m’aiment bien car je n’ai que 3 patient(e)s et je traîne deux heures, mais c’est bien aussi parce que je n’en ai pas trop... et moi je n’aime pas leur ordinateur et je passe très tôt de façon à savoir où sont mes patient(e)s (encore dans leur chambre). Du coup, c’est compliqué d’avoir une position vis-à-vis de ceux qui ont beaucoup de patients et moins de temps. Mes collègues se plaignent d’être tyrannisées par les infirmières qui les appellent sans cesse alors qu’elles sont occupées, et n’ont pas beaucoup de motivation car elles ne connaissaient pas avant les patients âgés qu’on leur a adressés, c’est plus facile quand on les suivait avant, on connaît leur histoire et on a déjà des liens...
Bon je pense que l’accès à des soins de qualité, avec son médecin traitant, dans les EHPAD, n’est pas acquis, qu’il faut à la fois défendre le point de vue des usagers et celui des médecins (les jeunes surtout, pour qu’ils aient envie de continuer d’y aller, et les plus jeunes – stagiaires - pour qu’ils aient une idée claire de ce qu’on y fait). Je ne sais pas par quel bout il faut prendre le problème, mais nous avons certainement une position originale (comme toujours...) à défendre sur la question.
Dominique Tavé :
Les réticences des médecins à signer ce contrat m’ont étonnée. Le constat que fait Martine est tout à fait vrai, la difficulté d’investissement quand on ne connaît pas les personnes, la communication avec le personnel soignant (plusieurs équipes avec souvent des intérimaires pour quelques jours), le logiciel « infernal », pas de lieu pour ausculter les personnes, la chronophagie, le nombre des médecins intervenant (30 dans l’AHPAD où j’interviens)... Personnellement, je soigne 4 personnes âgées (2 que je connaissais avant et 2 dont je connais quelqu’un de la famille), cela m’est pénible car j’ai le sentiment de ne pas travailler comme je le voudrais du fait des problèmes cités ci-dessus et par Martine, j’y reste rarement moins d’une heure même pour une consultation et compte 1h30 pour deux et, pour me décharger, j’avoue confier à l’interne en saspas une des quatre grand-mères dans la mesure du possible.
Tout ceci me fait dire que pour l’intérêt des patients, il serait préférable d’avoir 2 ou 3 médecins (salariés de préférence) à mi-temps par exemple l’investissement, l’harmonisation des pratiques et l’organisation des soins seraient sûrement plus performantes et satisfaisantes.
Le CP de MGF sur ce sujet est à mon avis pathétique (il faut sauvegarder la médecine libérale en EHPAD), le libre choix des résidents est complètement illusoire (choisissent-ils les kiné, infirmières, psychologue, coiffeuse ....?). Revendiquons avant tout la qualité des soins que méritent ces personnes âgées ayant de très lourdes pathologies.
Martine Lalande :
Moi je trouve que ça va mieux dans « ma » maison de retraite depuis qu’il y a une médecin salariée qui assure bien, qui nous connaît et cherche à communiquer avec nous, mais il y a des gags quand même. Ex : une vieille dame (vietnamienne), que je ne connaissais pas avant mais que j’aimais bien et dont j’avais vu plusieurs fois les enfants qui s’occupaient beaucoup d’elle, a été hospitalisée à la fin de sa vie car ses enfants avaient craqué, la médecin de la maison de retraite m’a appelée pour me dire qu’elle était morte, j’ai pensé : c’est bien, elle a pu rester tranquille avec sa famille dans sa chambre pour mourir. J’ai appris ensuite quelle avait été hospitalisée dans l’hosto où je vais deux fois par semaine (au CIVG) et que j’aurais pu aller la voir, mais ils n’avaient pas pensé que ça pouvait être intéressant pour moi (la médecin et l’infirmière chef de la maison de retraite). Autre ex :une autre dame avait une arthrite de la main que je craignais infectieuse : j’avais demandé une num et dit de donner des antibiotiques juste après (j’avais eu l’expérience l’année dernière du même cas chez une autre dame, qui n’était pas ma patiente, mais le médecin (de ville, que je connais bien) était en vacances, on m’avait demandé mon avis, je n’avais pas trop cru à une infection et attendu le résultat de la num pour lui donner des AB, ça avait flambé, elle avait du être hospitalisée ensuite dans un tableau de septicémie...) et là pour ma patiente cette année, la médecin de la maison de retraite m’a rappelée pour me dire que j’avais raison car il y avait 15000 leuco, et donc qu’elle allait dire de commencer les AbB (3 jours après et non le jour où la num avait été faite) : elle s’était donc permis de décider de repousser mon traitement car elle n’y croyait pas...
Bon tout ça pour dire que c’est bien quand les médecins salariés sont bien, mais moi j’ai envie de continuer à soigner les gens que je connais quand ils vont vivre en institution ce qui est possible s’ils vont dans les maisons de retraite de la ville (ou pas trop loin), donc il faudra bien que l’on trouve un accord avec les EHPAD pour fonctionner avec eux. Je crois au droit des résidants de pouvoir garder leur médecin, je trouve même parfois triste qu’ils ne puissent pas garder leur kiné par exemple. Moi j’aime bien faire les visites à domicile, alors que mes jeunes collègues détestent ça, en fait je crois que ça leur fait un peu peur... et on perd pas mal de temps à aller en maison de retraite, et surtout c’est déprimant, j’y vais toujours à reculons et puis après je suis contente d’y être, et je trouve le personnel vraiment bien, respectueux avec les gens, bien qu’ils sont surchargés de travail ; et évidemment, pour les résidants, c’est pas génial car il y a vraiment trop peu de personnel et peu d’occupations et tout ce monde qui va mal ensemble, c’est bof.
Voilà, ce débat est important.
Dominique Tavé :
La question que je pose est comment les soins peuvent être cohérents, pertinents quand il y a 30 médecins qui interviennent (souvent en même temps) pour 85 résidants et ce d’autant plus qu’il y a pénurie de personnel avec beaucoup d’intérimaires ? Pour les couacs, y a pas mieux, il me semble que s’il n’y avait (en + du médecin coordonnateur qui a un rôle bien défini ) que 2, 3 ou 4 médecins disponibles pour des demi-journées ou journées entières, la qualité des soins aurait tendance à être meilleure. Aucun contrat n’a été signé à ma connaissance dans l’EHPAD où j’interviens.
Jean Louis Gross :
Bien que je sois médecin coordonnateur, j’ai clairement pris position à Nuits-Saint-Georges pour qu’aucun des médecins de canton ne signe ce contrat et nous avons donc eu 100 refus de signer . L’idée de départ était intéressante, mais elle met les médecins sous la coupe directe de la direction des EHPAD (obligation administrative de signaler les congés, contrat pouvant être rompu unilatéralement par le directeur). Et ceci sans aucune contrepartie contractuelle.
Clairement, il y a eu une circulaire le 11 mars demandant au ARS de différer en attendant la décision du recours au Conseil d’Etat, et en faisant un point fin juin. Il est donc important d’appeler à ne pas signer ce contrat.
Nous avons proposé à Nuits-Saint-Georges de modifier ce contrat en ôtant les points litigieux. L’ARS n’est pas encore prête à en discuter, je pense qu’ils attendent juin en espérant qu’un certain nombre de contrats seront déjà signés.
voir en document joint la lecture analyse du contrat par Jean-Louis Gross